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se différencient, grâce aux progrès de la division du travail, jusqu’à devenir deux demi-cellules : l’œuf d’une part qui accapare en quelque sorte, pour la nourriture de l’être futur, le plasma de trois demi-cellules avortées et rejetées par l’émission des globules polaires, et le spermatozoïde dégagé de tout plasma et réduit à son minimum de volume : la réunion de ces deux demi-cellules forme la cellule-mère de l’organisme.

Comment, ces phénomènes de la fécondation étant définitivement connus, est-il possible d’expliquer par des lois invariables la variabilité des espèces et des individus ? Comment en un mot rendre compte de l’hérédité avec ses effets si complexes, si divers et même en apparence si capricieux ? M. Delage résume la dernière des solutions que Weissmann a proposées pour cette difficulté. Toutes les cellules de l’organisme contiennent un certain nombre d’éléments dont chacun contient en lui le germe de l’organisme complet, mais leur évolution se fait de deux manières différentes : les unes, à mesure qu’elles se reproduisent, se déterminent de plus en plus jusqu’à former un tissu particulier du corps, et ce sont les cellules somatiques ; les autres transmettent à leurs filles l’intégralité de leurs caractères, et ce sont les cellules germinatives. Mais la double division réductrice qui s’opère au moment de la fécondation dans les cellules mâles comme dans les cellules femelles, expulse arbitrairement six des éléments sur huit. Ces huit éléments peuvent être d’ailleurs différents, parce qu’ils proviennent d’ancêtres différents ; de plus, des deux éléments qui entrent dans la composition de la cellule génératrice, un seul suffit souvent à déterminer le caractère de la cellule engendrée, de sorte que pour chaque individu il se fait un choix, tout mécanique d’ailleurs, entre un certain nombre de combinaisons dont le succès est également possible dans des conditions données. Tel est le principe le plus général de la théorie de Weissmann ; sa valeur philosophique tient à ce qu’elle comprend en elle et explique les faits qui jusqu’ici paraissent être le plus contraire aux principes de l’hérédité, par exemple les différences entre les frères et sœurs, ou la ressemblance d’un petit-fils avec le grand-père maternel, sans ressemblance avec la mère, etc. Et cependant son défaut est peut-être de n’être pas assez compréhensive encore, de ne pas considérer par exemple que les cellules germinatives ont leur évolution propre, liée d’ailleurs à celle de l’organisme entier, et capable de déterminer, au cours de l’hérédité même, l’apparition de caractères non héréditaires.

C’est encore une théorie récente, relative à la physiologie générale, et d’une portée philosophique, que M. Jules Soury expose avec beaucoup de clarté dans le numéro de juillet, la théorie de Max Verworn sur l’origine et la nature du mouvement organique : sous la double forme qu’il présente, à l’état normal, chez les animaux unicellulaires — prolongement centrifuge d’une part, et de l’autre contraction centripète du protoplasma, — le mouvement organique s’explique par des phénomènes chimiotropiques : affinité du protoplasma périphérique pour l’oxygène ambiant, et affinité du protoplasma une fois oxygéné pour les substances nucléaires (d’où résulte que le noyau n’agit qu’en fonction du protoplasma, lequel ne serait pas moins nécessaire que le noyau lui-même à la vie de la cellule) ; enfin, comme ce double mouvement est au fond identique aux mouvements des fibres musculaires lisses et striées, il devient possible de réduire l’ensemble des lois du mouvement organique à des lois chimiques, réduction d’ordre tout scientifique, mais que M. Soury semble disposé à interpréter immédiatement dans le sens de ses propres doctrines métaphysiques.

Signalons dans la même revue un article également consacré à la biologie : Sociabilité et Morale chez les animaux, par M. E. Houssay (mai 1893). La lecture de ces notes est intéressante et suggestive, non seulement parce que M. Houssay est un observateur ingénieux, mais aussi parce qu’il est un esprit indépendant qui ne s’en laisse pas imposer par les formules toutes faites dont on a abusé en biologie autant et plus qu’ailleurs. La morale des animaux lui apparaît comme toute semblable à la nôtre ; c’est la lutte contre la lutte pour la vie, c’est-à-dire l’organisation en société et le dévouement à la cause commune. La question sociale a été posée par le monde animal comme par le genre humain, avec cette différence que là elle a été résolue. M. Houssay nous recommande de méditer la solution des animaux, c’est-à-dire « la suppression du sexe et de cela seulement ».

La Revue générale des sciences pures et appliquées a publié, dans son numéro du 30 mars 1893, un important article de M. Pierre Janet, intitulé : l’Am-