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Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/92

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égale à l’autre au moment où elle coïncide avec elle, elle ne lui serait plus égale dès qu’elle s’en séparerait. Autrement dit, on suppose qu’une figure reste identique à elle-même dans toutes ses positions, et c’est ce qu’on exprime en disant que l’espace est partout identique à lui-même. Disons mieux : lors même que l’espace réel ne serait pas du tout uniforme, cette définition le rendrait uniforme, puisqu’il suffirait que deux figures pussent coïncider une fois pour rester égales, par définition, dans tous leurs mouvements et dans toutes leurs apparentes déformations. À ceux à qui cette notion d’espace non uniforme paraîtrait bizarre, nous répondrons que rien n’est plus naturel ni plus familier, car nous en avons constamment l’expérience : en effet, l’étendue visuelle est une surface diversement colorée, et les figures qui s’y trouvent peintes changent sans cesse de forme et de proportion. Mais nous ne nous contentons pas de cet espace non uniforme à deux dimensions ; et si nous sommes amenés à construire la troisième dimension, qu’aucun sens ne peut atteindre (le toucher étant tout au plus superficiel aussi bien que la vue), c’est probablement en vertu de cet axiome géométrique : « Les corps restent identiques à eux-mêmes dans tous leurs déplacements » qu’on pourrait appeler : principe d’identité géométrique[1].

Il est donc absurde d’expliquer, comme les géomètres empiristes sont tentés de le faire, l’uniformité de notre espace idéal par la constatation de l’invariabilité des corps solides que nous percevons dans l’espace réel. Il est même inutile de supposer, comme M. Calinon, que l’espace réel soit approximativement uniforme car nous savons qu’il pourrait être tout autre, et néanmoins se représenter par l’espace euclidien. Ici encore, M. Poincaré nous fournit, dans sa réplique à M. Mouret, un argument saisissant. Il imagine un milieu sphérique soumis à une certaine loi de dilatation, de manière que les corps qui s’y meuvent diminuent indéfiniment de volume en allant du centre à la surface ; et il cherche quelle géométrie des êtres intelligents plongés dans ce milieu pourraient tirer de leur expérience. Ils ne pourraient jamais atteindre les limites de leur monde, pourtant fini, car à mesure qu’ils s’approcheraient de la surface de la sphère, ils deviendraient de plus en plus petits sans s’en douter, et feraient des pas de plus en plus petits ; donc ils croiraient leur espace infini. De même ils ne pourraient s’apercevoir, en s’éloignant du centre, de la décroissance proportionnelle de tous les objets, car ils ne pourraient que les comparer entre eux ou à leur propre corps, qui est soumis par hypothèse à la même loi de déformation ; la mesure de tous les corps restant la même, ils leur attribueraient une grandeur constante ; ils concevraient donc leur espace comme uniforme. Ainsi il ressort de cette fiction vraiment « amusante », destinée par son auteur à montrer la part de l’expérience dans la constitution de

  1. C’est ainsi que nous comprenons cette vue métaphysique de M. Lachelier : « … La perception réfléchie, par laquelle nous transportons hors de nous les objets étendus, en ajoutant aux deux dimensions de l’étendue visible celle qui n’est que l’affirmation figurée de l’existence, la profondeur. » (Revue philosophique, t. XIX, p. 512.)