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H. POINCARÉ. L’ESPACE ET SES TROIS DIMENSIONS.

différents ; le premier est un déplacement, le second un changement d’état. Pourquoi ?

Parce que, dans le premier cas, il me suffit de tourner autour de la sphère pour me placer vis-à-vis de l’hémisphère rouge et rétablir la sensation rouge primitive.

Bien plus, si les deux hémisphères, au lieu d’être rouge et bleu, avaient été jaune et vert, comment se serait traduite pour moi la rotation de la sphère. Tout à l’heure le rouge succédait au bleu, maintenant le vert succède au jaune ; et cependant je dis que les deux sphères ont éprouvé la même rotation, que l’une comme l’autre ont tourné autour de leur axe ; je ne puis pourtant pas dire que le vert soit au jaune comme le rouge est au bleu ; comment alors suis-je conduit à juger que les deux sphères ont subi le même déplacement ? Évidemment, parce que, dans un cas comme dans l’autre, je puis rétablir la sensation primitive en tournant autour de la sphère, en faisant les mêmes mouvements, et je sais que j’ai fait les mêmes mouvements parce que j’ai éprouvé les mêmes sensations musculaires ; pour le savoir je n’ai donc pas besoin de savoir la géométrie d’avance et de me représenter les mouvements de mon corps dans l’espace géométrique.

Autre exemple. Un objet s’est déplacé devant mon œil ; son image se formait d’abord au centre de la rétine ; elle se forme ensuite au bord ; la sensation ancienne m’était apportée par une fibre nerveuse aboutissant au centre de la rétine ; la sensation nouvelle m’est apportée par une autre fibre nerveuse partant du bord de la rétine ; ces deux sensations sont qualitativement différentes ; et sans cela, comment pourrais-je les distinguer ?

Pourquoi alors suis-je conduit à juger que ces deux sensations, qualitativement différentes, représentent une même image qui s’est déplacée ? C’est parce que je puis suivre l’objet de l’œil et, par un déplacement de l’œil volontaire et accompagné de sensations musculaires, ramener l’image au centre de la rétine et rétablir la sensation primitive.

Je suppose que l’image d’un objet rouge soit allée du centre au bord de la rétine, puis que l’image d’un objet bleu aille à son tour du centre au bord de la rétine ; je jugerai que ces deux objets ont subi le même déplacement. Pourquoi ? parce que, dans un cas comme dans l’autre, j’aurai pu rétablir la sensation primitive, et que pour cela j’aurai dû exécuter le même mouvement de l’œil, et je