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Page:Revue de métaphysique et de morale - 14.djvu/249

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L. COUTURAT.Pour la Logistique.

n’est-il pas capable de justifier un nombre infini de raisonnements tout aussi bien qu’un nombre fini ? Est-ce que par hasard sa vertu probante s’épuiserait au bout de n applications ? Enfin, que signifie ce reproche adressé à la Logistique d’admettre un nombre infini de combinaisons, alors qu’on lui reproche d’autre part de n’avoir qu’un nombre très limité de principes ? N’est-ce pas plutôt pour elle, comme pour la Géométrie (suivant une phrase célèbre), un titre de gloire, de tirer d’un si petit nombre de principes un si grand nombre de conséquences ? En quoi ce fait peut-il scandaliser un mathématicien familiarisé avec la fécondité incroyable de la Combinatoire ?

Quand M. Poincaré oppose entre elles l’ancienne et la nouvelle Logique, et considère celle-ci comme une « extension » énorme et peut-être illégitime de celle-là, il parait oublier ce fait, que le domaine d’une science peut recevoir une extension, même considérable, sans que la notion et la définition de cette science changent. Autrement, on ne pourrait jamais parler du progrès des sciences : car cela suppose qu’une science reste identique à elle-même en essence à travers son développement historique. Le raisonnement de M. Poincaré pourrait servir à prouver que le calcul infinitésimal ne fait pas partie des mathématiques ; que l’électricité ne relève pas de la physique, et que la théorie des composés organiques n’est pas de la chimie. Or c’est grâce à ce raisonnement que l’extension du « champ » de la logique classique (p. 826) devient une extension du « sens du mot logique » (p. 828). M. Poincaré dit encore : « Il semble qu’il n’y ait rien à écrire de nouveau sur la logique formelle et qu’Aristote en ait vu le fond » (p. 826). S’il veut dire par là (comme Kant) que la Logique n’a pas fait de progrès depuis Aristote, c’est une simple erreur de fait ; mais s’il entend que la Logique devrait (ou aurait dû) rester confinée dans le domaine défriché par Aristote, il soutient implicitement que la Logique était parfaite et complète en naissant, contrairement à l’analogie de toutes les autres sciences et à la vraisemblance. On n’aurait que des risées pour celui qui prétendrait réduire les mathématiques à ce qu’elles étaient du temps d’Euclide, et la physique à la physique d’Aristote. Comment donc ose-t-on soutenir, ou insinuer, qu’Aristote a dit le dernier mot de la Logique, et qu’il soit interdit de développer cette science au delà des bornes étroites que son fondateur lui assignait ?

D’ailleurs, si « la nouvelle logique est plus riche que la logique classique » (p. 828), ce n’est pas tant par l’extension de son domaine