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revue de métaphysique et de morale.

semble, que nous ne le serions par un discours imprudent. Quand les Éléates posent l’Être, il faut bien dire avec eux qu’il est unique, indivisible et immuable. Lorsque Leibniz raisonne ainsi : puisqu’il y a des composés il existe des simples, sans quoi il n’y aurait rien, que pourrait-on bien répondre à cela ? De même, lorsqu’il argumente comme on sait : si Dieu est possible, Dieu est, or Dieu est possible ; et l’argument ontologique lui-même n’est pas sans force ; en vérité il est plus facile de le réfuter convenablement pour les autres, que de se prouver à soi-même qu’il n’est qu’un sophisme grossier. Toutefois, il est assez clair que des raisonnements de cette espèce ne sont point de ceux qui donnent communément bonne opinion de la philosophie. Trop de jeunes sophistes les imitent et entendent dépasser de bien loin leurs maîtres dans l’art de construire des tours dans les airs. Et surtout, si peu que l’on ait goûté à la Critique de Kant, on se croit en mesure d’expliquer le mécanisme de cette prétendue nécessité dialectique, en faisant voir que la conclusion était déjà cachée dans les prémisses, si du moins elle n’y est pas ajoutée subrepticement grâce à l’ambiguïté des termes. De toute façon les meilleurs esprits, dès qu’ils ont usé le feu de la première jeunesse, n’aspirent plus qu’à ne pas s’élever, et, bien plus, à descendre sur la terre, et à se perdre dans les détails de l’expérience, en méprisant désormais ouvertement toute définition et tout principe. Aussi voyons-nous qu’ils ressemblent assez à cet Héraclite, selon Platon, qui ne pouvait ni rien dire, ni même rien penser, et qui devait littéralement s’endormir dans l’instant ; car, si rien n’est construit, il n’y a même plus de durée, ni, par suite, de conscience.

Mais pour retomber si bas, il n’est pas nécessaire que l’on se soit livré, pour son compte ou à la suite des maîtres, à des pensées d’aventure. On peut voir, par le mouvement des esprits en ce temps, que la pratique de la Mathématique suffit souvent à détourner un homme de la Raison et des Idées. Car, dans la Mathématique, l’autorité des auteurs et l’autorité de l’expérience, tout s’accorde pour nous donner confiance dans l’enchaînement rigoureux de notions qui nous est présenté, tout, excepté cet enchaînement lui-même. Il suffit d’avoir lu Kant en bon écolier pour savoir distinguer deux choses dans une déduction mathématique, un raisonnement de forme syllogistique, et une expérience d’une certaine espèce, que nous pouvons appeler intuition, et qui est le véritable ressort de cette dialectique. Dès lors il faut, ou bien que nous reconnaissions