ariste. — Oui.
eudoxe. — Eh bien, Ariste, je suppose que vous voyiez un squelette sortir de ce mur et venir à vous.
ariste. — Je le suppose.
eudoxe. — Direz-vous que ce squelette est réel ?
ariste. — Mais non. Je dirai que je suis victime d’une hallucination.
eudoxe. — Pourquoi direz-vous cela, sinon parce qu’un tel fait n’est pas possible ?
ariste. — Oui.
eudoxe. — C’est-à-dire parce qu’il n’est pas explicable ?
ariste. — Oui.
eudoxe. — Pour que vous disiez qu’une perception de vos sens est réelle, est vraiment un fait, il faut donc que vous puissiez vous l’expliquer à vous-même.
ariste. — Il le faut.
eudoxe. — Et ainsi il faut que l’explication existe pour vous d’abord, le fait ensuite ?
ariste. — Cela est vrai.
eudoxe. — Allez-vous donc du fait à l’explication ou de l’explication au fait ?
ariste. — Je vois bien que je vais de l’explication au fait.
eudoxe. — Que dirons-nous donc de cette formule : il n’y a de principe solide que celui qui repose sur des faits ?
ariste. — Nous dirons qu’elle ne présente aucun sens.
eudoxe. — Ne faut-il pas dire au contraire : il n’y a de fait réel que celui qui repose sur un principe solide ?
ariste. — Il faut le dire.
eudoxe. — L’abstrait est donc toujours premier ?
ariste. — Cela est nécessaire.
eudoxe. — On ne part pas des faits, on y va ?
ariste. — Il faut l’accorder.
eudoxe. — Mais suffit-il, pour être savant, d’aller aux faits en aveugle, guidé seulement par la multitude des idées confuses, sans avoir fait de ces idées un système cohérent ?
ariste. — Non.
eudoxe. — Ne dirons-nous pas que chercher ainsi la vérité, c’est vouloir analyser sans le secours de la synthèse ?
ariste. — Nous le dirons.