Page:Revue de métaphysique et de morale - 28.djvu/659

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de plus de cinquante ans. Mais du mot, passons à la chose.

Une première différence, encore fort extérieure, mais qui ne laisse pas d’être frappante, c’est que les théories communistes n’apparaissent dans l’histoire que d’une manière sporadique. Ce sont des manifestations isolées les unes des autres, par de longs espaces de temps le plus souvent. De Platon à Thomas Morus, près de dix siècles se sont écoulés, et les tendances communistes que l’on peut relever chez certains Pères de l’Église ne suffisent pas pour combler cette solution de continuité. De l’Utopie (1518) à la Cité du Soleil (1623), il y a plus d’un siècle de distance, et, après Campanella, il faut attendre le xviiie siècle pour voir renaître le communisme. En d’autres termes, le communisme n’essaime pas. Les penseurs qu’il inspire sont des solitaires, qui surgissent de loin en loin, mais qui ne font pas école. Leurs théories semblent donc exprimer plutôt la personnalité de chaque théoricien qu’un état général et constant de la société. Ce sont des rêves dans lesquels se complaisent— de généreux esprits, qui attirent l’attention et soutiennent l’intérêt à cause de cette générosité même et de cette élévation, mais qui, ne répondant pas à des besoins actuellement ressentis par le corps social, n’ont d’action que dans les imaginations et restent pratiquement inféconds. C’est d’ailleurs ainsi que les présentent tous ceux qui les ont conçus. Eux-mêmes n’y voient guère autre chose que de belles fictions, qu’il fait bon mettre de temps— en temps sous les yeux des hommes, mais qui ne sont pas destinées à devenir des réalités. « Si, dit Sir Thomas Morus en finissant son livre, je ne puis pas adhérer complètement à tout ce qui vient d’être rapporté de l’ile d’Utopie, je reconnais qu’il s’y passe beaucoup de choses que je souhaite voir imiter par nos sociétés, beaucoup plus que je ne l’espère. » D’ailleurs, la méthode même d’exposition suivie par ces auteurs indique bien quel est le caractère qu’ils prêtent à leur œuvre. Tous, à peu près, prennent pour cadre un pays absolument imaginaire, placé en dehors de toute condition historique. Ce qui prouve bien que leurs systèmes ne tiennent que faiblement à la réalité sociale et ne visent que faiblement à réagir sur elle. Tout autre est la façon dont le socialisme s’est développé. Depuis le commencement du siècle, les théories qui portent ce nom se suivent sans interruption ; c’est un courant continu et qui, malgré un certain ralentissement vers 1850, devient de plus en plus intense. Il y a plus : non seulement les écoles suc-