ARISTE. — Comment cela ?
EUDOXE. — Si la cause est antérieure à l’effet, il s’écoule un temps pendant lequel la cause existe sans que l’effet existe ?
ARISTE. — Oui.
EUDOXE. — Cette cause n’est donc pas la cause suffisante de l’effet, puisqu’elle peut exister sans que l’effet existe ?
ARISTE. — C’est qu’il manque quelque condition sans laquelle la cause ne peut produire son effet.
EUDOXE. — Il ne peut manquer aucune condition, puisque nous avons appelé cause l’ensemble des conditions suffisantes.
ARISTE. — Cela est vrai.
EUDOXE. — Vous voyez donc que l’effet existe non après la cause, mais en même temps qu’elle.
ARISTE. — Je vois bien qu’il faut l’accorder.
EUDOXE. — Concluons donc qu’il n’y a point de connaissance du successif, et que nul ne peut connaître des faits intérieurs.
ARISTE. — Je vois bien que nul ne le peut ; mais il me semble que je le puis.
EUDOXE. — Comment pouvoir l’impossible ?
ARISTE. — Je ferme les yeux ; aucun bruit ne parvient à mes oreilles ; tous mes sens sont en quelque sorte à l’état de sommeil. Ma pensée est-elle pour cela arrêtée ? il me semble au contraire qu’elle agit alors plus que jamais. Différentes idées se succèdent en moi ; quelques-unes d’entre elles sont très précises et d’une vérité incontestable.
EUDOXE. — Voulez-vous me décrire la plus précise des idées qui vous viennent en ce moment ?
ARISTE. — Je pense à un triangle et j’affirme que la somme de ses angles est égale à deux angles droits.
EUDOXE. — Voilà sans doute une pure idée, que ni vos yeux ni vos mains ne concourent à former.
ARISTE. — Eh bien, cette idée est un fait intérieur, dont j’ai conscience et que je puis observer.
EUDOXE. — Que ne l’observez-vous ? Vous remarqueriez que ce triangle auquel vous pensez est dans l’espace, et que par suite, s’il est intérieur à de certains objets, il est extérieur à d’autres.
ARISTE. — Oui, ce triangle est dans l’espace, mais dans une sorte d’espace intérieur, que je construis en moi-même.
EUDOXE. — Je vois Ariste, par votre réponse, que vous vous rendez