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humaine ; mais une langue peut être aussi utile qu’une autre. Il ne faut donc pas exagérer l’importance des mots et des symboles en leur attribuant une puissance quasi magique sur les choses ou en les prenant pour les choses mêmes, qu’ils ne peuvent que représenter plus ou moins exactement. Il ne semble presque pas être la peine d’insister sur ce point ; mais l’article de M. Ballue n’est peut-être pas exempt de la faute signalée. Le sujet en est le nombre entier. Qu’est-ce que cela ? M. Ballue dit : « Les pluralités sont représentées par des symboles qu’on appelle des nombres entiers ». Ainsi d’après lui les nombres entiers sont des symboles, et c’est des symboles qu’il veut parler. Mais des symboles ne sont pas et ne peuvent pas être le fondement de l’analyse mathématique. Si j’écris 1 + 2 = 3, j’avance une proposition qui traite des nombres 1, 2 et 3 ; mais ce ne sont pas ces symboles dont je parle. Je pourrais leur substituer Α, Β, Γ, je pourrais écrire p au lieu de + et é au lieu de =. Ainsi par ΑpΒéΓ j’exprimerais la même pensée qu’auparavant, mais au moyen de symboles différents. Les théorèmes de l’arithmétique ne traitent donc jamais des symboles mais des choses représentées. Ces objets, il est vrai, ne sont ni palpables, ni visibles, ni même réels, si l’on nomme réel ce qui peut exercer et subir une influence. Les nombres ne changent pas ; car les théorèmes de l’arithmétique enferment des vérités éternelles. Ainsi l’on peut dire que ces objets sont hors du temps, ce qui fait voir qu’ils ne sont pas des perceptions ou des idées subjectives, parce que celles-ci changent toujours conformément aux lois psychologiques. En effet les lois de l’arithmétique n’appartiennent pas à la psychologie. Tout ne se passe pas comme si chaque homme avait un nombre, nommé Un, à lui, qui fasse partie de son âme ou de sa conscience ; mais il n’y a qu’un seul nombre qui porte ce nom, le même pour tout le monde et objectif. Ce sont donc des objets assez curieux que les nombres, réunissant en eux des qualités qui semblent opposées d’être objectif et de ne pas être réel. Mais en y songeant plus profondément on remarquera qu’il n’y a pas là de contradiction. Les nombres négatifs, fractionnaires, etc., sont de la même nature ; et c’est là peut-être le motif pour lequel on fait souvent trop de cas des symboles en arithmétique. Parce qu’on éprouvait des difficultés à reconnaître des objets qui ne sont ni perceptibles aux sens ni psychologiques, on leur a substitué des objets visibles. Mais on a oublié que ces symboles ne sont pas ce qu’on veut étudier. Ainsi l’on attribue une double nature