Page:Revue de métaphysique et de morale - 30, 1-2.djvu/251

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pris dans le domaine de l’expérience, le raisonnement qui devait nous élever à ce stade supérieur, et pourquoi, alors, à tel point plutôt qu’à tel ou tel autre ? Et ce point de départ, choisi dans le monde réel, pourra-t-on le déduire à son tour de la connaissance absolue qui doit en résulter ? Et ne subsistera-t-il pas toujours d’autres données que ce point de départ expérimental à la base même de la connaissance absolue, et quelle certitude aura-t-on d’être remonté jusqu’aux plus éloignées ? Kierkegaard a été amené à voir que de tous les problèmes philosophiques celui de la connaissance est le plus central. Il insiste sur le fait que nous vivons dans le temps. Nous vivons en avant, mais nous comprenons en arrière. De là, l’impossibilité d’un aboutissement terminal, et Kierkegaard se déclare d’accord avec Lessing disant que pour l’homme il n’y a rien au delà de la recherche de la vérité.

Comme Pascal, Kierkegaard est d’avis que la vie personnelle a besoin de pensées, mais de pensées appliquées à ce qui étaye notre existence. La pensée de Dieu n’est qu’un expédient désespéré et n’offre pas d’objet à l’intelligence pure. Kierkegaard établit une distinction entre les connaissances « essentielles » et les connaissances « non essentielles », en classant parmi les connaissances non essentielles : sciences naturelles, philologie, histoire et philosophie pure — toutes pensées sans emploi pour nous quand nous prenons position dans le problème capital de la vie et de la mort. Impossible de concevoir la vie d’une façon purement intellectuelle, à moins de faire de soi-même une abstraction. Pour apprécier les diverses attitudes que prennent les hommes vis-à-vis de l’existence, Kierkegaard se sert d’un procédé qui rappelle celui de Pascal : il les groupe dans une série de types qu’il entreprend de bien caractériser. Ne retenons ici que ceux dont il a tracé le portrait dans ses écrits les plus populaires (Ou l’un ou l’autre et Étapes de la route humaine). « L’esthéticien » veut jouir par-dessus tout du moment qui passe. Son art de vivre, c’est de garder assez d’élasticité d’âme pour saisir la nouveauté successive des instants. Il importe de couper court au moment opportun, afin de ne pas être retenu dans d’immobiles liens. La méthode des cultures alternées a du bon. L’esthéticien est comme une tangente à la circonférence (plus exactement : aux circonférences) de la vie. A un seul point il y a, momentanément, un contact, qui est aussitôt suivi par un contact à un autre point. Donc ; des amours qui changent et pas de mariage ; des camaraderies et