Page:Revue de métaphysique et de morale - 30, 1-2.djvu/252

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pas d’amitiés ; des occupations improvisées et pas de devoirs professionnels ; des jouissances intellectuelles et point de science ! Si la vie « esthétique » est une tangente, la vie « éthique », elle, décrit une circonférence autour d’un centre et se trouve déterminée par rapport à ce centre. C’est le type de la fidélité. Sa vie est une vie en commun, une vie réglée, une vie de travail incessant. Au-dessus de ces deux types s’élève celui de la vie religieuse dont l’effort et l’orientation se rapportent à un but situé au delà de tous moments et de toute durée, incommensurable à tous les autres buts humains et même, à son point culminant, dans le christianisme, en contradiction manifeste avec tout ce qui, d’un point de vue purement humain, pourrait être pris comme but et comme directive de l’existence. Plus se différencie le caractère de la vie religieuse, moins elle permettra à l’homme de se développer dans une ambiance naturelle : il sera comme un poisson sur terre. Finalement, l’Éternité ne restera pas (comme chez Platon et chez Spinoza) le fond immense, toujours présent sur lequel se déroule la vie mesurée dans le temps : elle fera irruption dans la durée, le divin surgissant sous forme humaine à un point déterminé du temps et de l’espace. Alors, cette révélation de l’attitude des hommes à son égard sera le facteur décisif pour apprécier la vie et son contenu.

C’est une philosophie comparée de la vie que nous donne ici Kierkegaard. Elle fait penser aux caractères de Montaigne et d’Épictète, décrits par Pascal, et à celui du chrétien qu’il leur oppose à tous deux. Et de même que Pascal voyait dans la maladie l’état naturel aux chrétiens, de même Kierkegaard, de son côté, aboutit à ce résultat que le type de vie, le plus élevé, celui des chrétiens, comporte tension et souffrances dues à l’antagonisme déchirant des contradictoires entre lesquels la vie doit être vécue. Et la supériorité de ce dernier type sur les autres vient justement des plus grandes épreuves qu’il impose à cette puissance de synthèse qu’exige toute vie personnelle.

D’après Kierkegaard, c’est par bonds qu’on passe, comme de stade en stade, d’une vie à l’autre, et le bond principal est celui qui porte une âme plongée dans le désespoir à la vie en Christ. Mais, même au point le plus décisif, ce bond ne prend jamais, chez Kierkegaard, le caractère de l’extase. Et, dans une certaine mesure, la continuité subsiste, puisque notre énergie synthétique reste l’échelle commune à tous les types de vie personnelle. D’ailleurs