Page:Revue de métaphysique et de morale - 30, 1-2.djvu/263

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parce qu’il répond seul à l’aspiration la plus profonde de la nature humaine, parce que seul il concilie les contraires les plus grands de la vie, et qu’il en rend raison. Et pour Kierkegaard, l’idée de Dieu fut, dans les tempêtes de la vie, une ancre de salut dont la nécessité ne s’impose pas à celui qui se tient toujours en mer calme. L’essentiel, pour l’un et l’autre, c’est que chacun passe, au cours de la vie, par le cycle profitable et pénétrant de l’expérience. Mais d’abord, et surtout, il faut éviter de se tromper et de tromper les autres en professant des croyances qui ne se fondent pas sur des expériences et des aspirations personnelles. « Pour les religions, dit Pascal (fr. 590 Br.), il faut être sincère ; vrais païens, vrais juifs, vrais chrétiens. » Kierkegaard, de son côté, disait, pendant sa dernière campagne contre l’Église établie : « Je n’ose pas m’attribuer le nom de Chrétien, mais je me range sous le drapeau de la sincérité ; c’est pour elle que je m’expose ».

Sur un point, toutefois, les hommes engagés dans le troisième chemin se séparent nettement de Pascal et de Kierkegaard. Les deux penseurs se rendent compte que la vie, et particulièrement la vie religieuse, a besoin de pensées qui en maintiennent et dirigent l’orientation. Mais ils font une distinction tranchée entre pensées vitales et pensées scientifiques ou, pour parler le langage de Kierkegaard, entre connaissance « essentielle » et connaissance « non essentielle ». Sous la connaissance non essentielle, ils rangent la science, toutes les sciences. Et pourtant il y a des pensées scientifiques qui peuvent devenir d’une importance capitale pour les croyances personnelles. Impossible de marquer ici les limites une fois pour toutes. Indiquons seulement l’influence sourde et peu remarquée par le grand public qu’exerce sur les idées religieuses l’essor admirable qu’ont pris les sciences ; sciences naturelles aussi bien que sciences morales, pendant les derniers siècles. Et signalons à ce propos le peu fondé de l’opinion qui veut que la personnalité et la science s’opposent l’une à l’autre comme s’opposeraient les intérêts qu’elles recouvrent. La science est issue du travail et des individus et fille de l’aspiration personnelle ; la joie de connaître compte parmi les sentiments les plus nobles de l’homme. Les cadres mêmes conscients ou inconscients de la vie intellectuelle sont fournis, en dernière analyse, par la personnalité, puisque aussi bien ils dépendent de la nature et de l’esprit humains. D’un autre côté, la personnalité se développe par le travail scientifique, elle y