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E. CHARTIER.SUR LES PERCEPTIONS DU TOUCHER..

est tranquille, et un gaz froid dont le volume serait délimité donnerait certainement au toucher l’illusion de l’eau glacée.

Il faut, pour terminer, parler de la plus importante opération du toucher, de la mesure des distances, et, s’il ne s’agit que de dire comment, en fait, nous mesurons des distances, la question ne présente pas de difficultés. Les longues distances ; qui exigent, pour être parcourues, un déplacement du corps tout entier, sont naturellement mesurées par le nombre des pas que l’on a à effectuer pour les parcourir ; cette mesure, imparfaite à cause de l’inégalité des pas d’un même homme, est avantageusement remplacée par la mesure en pieds, obtenue en portant les pieds l’un après l’autre sur la distance à mesurer. Les petites distances sont naturellement évaluées par le transport de la main, ou du doigt, ou du pouce, transport rendu plus facile et plus exact par l’existence des deux mains ; ou encore par les pas de deux doigts imitant le mouvement des jambes. On conçoit que l’idée soit venue de prendre comme mesure ou mètre un objet préalablement mesuré plusieurs fois, et dont la longueur invariable a été ainsi constatée ; on transporte alors cet objet autant de fois qu’on le peut sur la distance à mesurer ; on conçoit que par la suite on arrive à diviser cet objet en y portant plusieurs fois un autre objet plus petit, et ainsi de suite, qu’on donne à cette mesure une forme qui convienne à son usage, etc. Ce qu’il importe surtout de remarquer, c’est que la superposition exacte de deux objets ne peut être constatée avec précision par le toucher que dans des cas exceptionnels, par exemple s’il s’agit de règles parallélépipédiques égales et rectangulaires ; les surfaces extrêmes des deux règles devront alors faire au toucher l’effet d’une surface plane unique. Dans les autres cas, et surtout quand l’objet est plus long que la mesure, la détermination exacte de la partie de l’objet couverte par la mesure ne peut être faite par le toucher seul qu’avec une précision médiocre.

Cette description du progrès de nos connaissances, tant qu’elle n’est que description, ne présente pas de difficultés. L’important est, ici comme ailleurs, de ne pas passer à côté des difficultés sans les voir. Notamment au sujet de la mesure des distances par le toucher, il ne faudrait point croire que beaucoup d’idées, et au fond toutes les idées, n’y sont point nécessaires. La mesure d’une grandeur par le transport d’une unité semble quelque chose de simple. Pourtant ce que cette mesure est en fait, ce n’est pas une mesure. En fait, les