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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

diverses opérations qui constituent la mesure sont successives ; leur somme n’existe donc point en fait. De plus toute mesure suppose l’idée de l’égal et de l’inégal en grandeur, idée qui ne peut venir des sensations que nous éprouvons, puisque la grandeur est toujours une distance et la distance toujours une idée. Mais de plus l’idée même de la grandeur étendue ne suffit pas à elle-même ; elle n’est rien sans l’idée de temps. L’idée naturelle d’une distance plus ou moins longue à parcourir pour moi n’est pas possible si je n’ai en même temps l’idée d’un temps plus ou moins long pour un mouvement de vitesse constante, ou si l’on veut l’idée d’un même temps pour deux mouvements de vitesse différente. Et ceux qui ont essayé d’analyser ces notions-là savent bien qu’elles en supposent encore d’autres.

On dira peut-être qu’il y a, pour l’être qui n’a pas encore réfléchi, la perception pure et simple d’une différence qualitative entre une longue distance et une courte distance, entre un mouvement rapide et un mouvement lent. À dire vrai de telles affirmations n’ont aucun sens ; car on ne voit point ce que peut être une différence purement qualitative, sinon une modification agréable ou désagréable, sans aucune notion d’objet ni de distance ; et la question est toujours de savoir comment nous expliquons les différences qualitatives par les représentations de distance, de temps et de mouvement. De même, si l’on prétend que les battements de notre cœur mesurent pour nous le temps, ce qui n’est nullement invraisemblable, encore faut-il expliquer comment nous sommes amenés à mettre en rapport le rythme des battements du cœur avec d’autres mouvements, comment aussi nous sommes amenés à faire la somme de ces mouvements, somme que la nature matérielle assurément ne fait pas, puisque ces mouvements sont successifs et que chacun d’eux existe seul, comme aussi chacun des moments de chacun d’eux. En un mot, il faut toujours expliquer comment je mets n’importe quoi en rapport avec n’importe quoi, car tout s’en va et tout s’enfuit[1].

Il est incontestable qu’en fait la perception du rapide et du lent, du grand et du petit, et de la plupart des propriétés des choses, est immédiate et irréfléchie ; à vrai dire, en fait tout est immédiat et irréfléchi. L’impression de résistance semble être aussi immédiate et irréfléchie, et l’on peut en dire autant de la connaissance des images visuelles dans les miroirs ; et pourtant il est évident que

  1. Revue de Métaphysique et de Morale. Sept. 1900 (Congrès de Philosophie), p. 658, 659.