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Grands Philosophes), Paris. Alcan, 1901. — Il n’y a peut-être point d’ecrivain dont il suit plus difficile d’exposer les idées. Saint Augustin a été un homme d’action, occupé de constituer une Église homogène et de calmer les inquiétudes intellectuelles et morales de ses contemporains, autant et plus peut-être qu’un penseur épris de la vérité. Comme penseur, d’autre part, il se rattache à la tradition de Platon et des Néo-Platoniciens, et c’est par lui définitivement que la métaphysique hellénique s’installe au cœur du Judaïsme chrétien. Enfin, lorsque l’orthodoxie catholique s’est décidément orientée vers le libre arbitre entendu au sens d’Épicure et de Pelage, saint Augustin a été l’autorité invoquée par ceux qui ont tenté de maintenir au sein du christianisme l’enseignement religieux de saint Paul. On voit de que l’esprit large et désintéressé, purement humain, il faudrait être animé pour situer un tel auteur dans le temps, sans rien dissimuler de ce qu’il doit au passé, sans être arrêté dans son interprétation par les conséquences qui seront tirées plus tard de sa doctrine, et on comprendra que nous fassions quelque crédit à l’abbé Jules Martin pour ne pas nous avoir tout à fait donné ce que ses pénétrantes études sur la démonstration philosophique nous permettaient d’attendre de lui. Il a fait un effort sincère et vigoureux pour saisir dans toute leur étendue et dans toute leur compréhension les conceptions de saint Augustin, sans s’éloigner des textes, en s’appuyant sur des références précises ; mais il a subi le sort commun de ceux qui se sont attachés au Grand Docteur, il l’a trop aimé, d’un zèle où il entre quelque jalousie et quelque pointe d’ombrage ; il faut que saint Augustin ait été à chaque moment et sur chaque question le type de l’orthodoxie qui sera établie douze siècles après lui et que chacune de ses conclusions contienne un enseignement utile pour les lecteurs contemporains, et c’est ce qui conduit M. l’abbé Martin à essayer d’atténuer, à estomper les doctrines les plus originales de l’auteur et les plus caractéristiques de son temps. L’effort est très touchant, et trop visible, par exemple dans l’interprétation du récit de la Genèse : les sept jours sont considérés par saint Augustin comme la répétition du même acte métaphysique dans l’éternité, suivant la parole de l’Ecclésiastique : Deus creavit omnia simul, rl il s’agit pour, M. l’abbé Martin d’établir que, « si un jour l’évolution était chose bien constatée, l’enseignement de saint Augustin s’en accommoderait à merveille ». Ce qui est plus grave, c’est que la doctrine de la prédestination et de la grâce est traitée du même point de vue, et subordonnée à l’affirmation du libre arbitre M. l’abbé Martin cite sans doute quelques-unes des plus profondes formules où saint Augustin a montré l’action de Dieu précédant et préformant la volonté de l’homme, mais il n’a point osé les prendre comme centre de son exposé, et c’est pourquoi son livre contient du saint Augustin plutôt que saint Augustin lui-même. Notre critique se précisera par une citation que nous extrayons du premier livre, qui n’est pas le moins riche et le moins étudié, le livre sur la connaissance : « Saint Augustin disait, et il sera toujours bon de méditer une telle parole : « Pourquoi celui-ci croit-il, et " celui-là ne croil-il pas ? Ils ont pourtant, l’un et l’autre, entendu la même parole, et, si un miracle s’est accompli en leur présence, ils ont vu le même fait : c’est ici la profondeur des richesses de la sagesse et de la science de Dieu dont les jugements sont inscriitables (Rom., XI, 33). » S’il n’y avait à combattre que la simple incapacité et la simple inattention, il serait toujours possible de les vaincre, mais l’orgueil intellectuel offre une tout autre résistance. On ne peut avoir raison de lui qu’en prenant pour règle, au sens même où saint Augustin les prononce, les paroles suivantes : « Quelle âme, enfin, avide d’éternité, et touchée par la brièveté de la vie présente, lutterait contre l’éclat et contre la sublimité de l’autorité divine ?  » Cette belle sentence adressée à Volusien, un philosophe, est merveilleusement complétée par celle-ci, qui s’adresse également à un philosophe, Consentius : « Aimez beaucoup de comprendre », Intellectum valde ama (Ep. CXX). » Et voici ce que conclut l’abbé Martin de l’amas de ces textes contradictoires : « Pour exercer réellement une activité intellectuelle, il faut, au même degré, se défendre contre l’imagination et avoir le sens du mystère. » Et de là vient notre deception perpétuelle : le développement de la pensée est limité par des mots, on nous annonce un philosophe et même, d’après le titre de la collection, un grand philosophe, et on nous montre un théologien éclectique.

Spinoza, par E. Chartier, ancien élève de l’École Normale Supérieure, agrégé de philosophie, professeur au lycée de Rouen, 1 vol. in-8 de 122 p., collection des « Philosophes », Paris, Delaplane, 1801. — Ce petit volume réalise le but que s’étaient proposé les éditeurs de cette