Page:Revue de synthèse historique, Tome 33, 1921.djvu/30

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m’attache qu’à la fausse nouvelle sincère ; dans le cycle, de simples mensonges ont sans doute trouvé place ; mais l’imposture consciente d’elle-même ne présente, aux yeux de l’historien ou du psychologue, rien de bien curieux [1].

A l’origine, nous rencontrons un état d’âme collectif. Le soldat allemand, qui, la guerre à peine commencée, entre en Belgique, vient d’être tout à coup enlevé à ses champs, à son atelier, à sa famille, ou du moins à la vie réglée de la caserne ; de ce dépaysement soudain, de ce brusque déchirement des liens sociaux essentiels naît déjà un grand trouble moral. Les marches, les mauvais logements, les nuits sans sommeil fatiguent à l’extrême des corps qui n’ont pas encore eu le temps de s’assouplir à ces dures épreuves. Combattants novices, les envahisseurs sont hantés de terreurs d’autant plus fortes qu’elles demeurent nécessairement assez vagues ; les nerfs sont tendus, les imaginations surexcitées, le sens du réel ébranlé [2]. Or ces hommes ont été nourris de récits relatifs à la guerre de 1870 ; dès leur enfance on leur a rebattu les oreilles des atroces exploits prêtés aux francs-tireurs français ; ces contes ont été répandus par le roman et par l’image ; des ouvrages militaires leur ont conféré une sorte de garantie officielle ;

  1. En revanche, rien n’est plus curieux que de voir un mensonge prendre pour point de départ une erreur spontanée. Un bon exemple de cette transformation d’une erreur sincère en imposture est peut-être fourni, hors de Belgique, par l’histoire de l’« avion de Nuremberg ». La déclaration de guerre remise le 3 août 1914 au président du Conseil français par l’ambassadeur d’Allemagne invoquait, entre autres prétextes, celui-ci : un aviateur français aurait « jeté des bombes sur le chemin de fer près de Karlsruhe et de Nuremberg » (Livre Jaune, p. 131). On sait que longtemps après la municipalité de Nuremberg démentit cette absurdité (cf. Fernand Roche, Manuel des Origines de la Guerre, p. 275, n. 2). Que le gouvernement allemand, ayant en main tous les moyens de vérification, y ait jamais cru, personne ne le pensera. Mais le mensonge ne naquit sans doute pas de toutes pièces dans le cerveau d’un homme d’État inventif ; on peut supposer qu’il eut pour origine une fausse nouvelle populaire. Il n’est pas impossible, en effet, qu’un avion français, au cours d’une randonnée pacifique, entreprise bien avant la déclaration de guerre, n’ait, le 1er août 1914, très innocemment survolé Nuremberg (v. Le Temps, 9 octobre 1919). La chose n’est pas tout à fait certaine : on l’a niée ; une petite enquête critique s’imposerait. Si elle devait faire ressortir l’exactitude du fait, on en pourrait tirer une conclusion intéressante. Il n’est pas douteux que si les Nurembergeois ont vu, le 1er août 1914, apparaître dans leur ciel un avion français, ils ont dû craindre fortement qu’il ne jetât des bombes ; de là à croire qu’en réalité il en jetait, il n’y a qu’un pas que des esprits surexcités par les émotions d’une guerre prochaine ont certainement franchi. La fausse nouvelle est forcément parvenue aux oreilles des gouvernants à Berlin. Là, elle a dû paraître peu vraisemblable ; mais, plutôt que de la vérifier, on a préféré s’en servir. L’imagination est une qualité moins répandue qu’on le croit quelquefois ; bien des menteurs en ont peu, et le mensonge consiste probablement assez souvent à reproduire, en le sachant faux, un récit sincèrement erroné.
  2. Cf. van Langenhove, p. 117.