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M. ROSTOVTZEFF.

du Dněpr. Nous possédons plusieurs données qui contredisent cette version officielle, et d’apparence artificielle, des chroniques russes sur l’origine de l’état kiévien. Ce sont surtout des données sur l’existence de la Russie (Rus), qui est certainement la Russie de Kiev, bien avant l’époque de Rurik. Mais, même en acceptant l’origine Scandinave des princes de Kiev, nous devons constater que cette origine n’a pas eu d’influence sur la structure politique et sociale de la Russie kiévienne et sur sa civilisation matérielle et intellectuelle. Les princes, aussi bien que leur družina, furent assez vite assimilés par la majorité slave et adoptèrent sa civilisation. Ce fait est illustré par exemple par le caractère tout à fait byzantin de la civilisation matérielle de Kiev du IXe siècle après J.-C, caractère qui nous est bien connu par les fouilles systématiques faites à Kiev et dans les autres cités de la Russie kiévienne[1].

Ce qui est important, c’est le fait de l’existence au IXe siècle de l’état kiévien, et c’est aussi le fait de son organisation originale à laquelle nous ne pouvons trouver rien d’analogue dans l’Europe occidentale de cette période avec son système féodal. Tout semble en effet original dans cette histoire de la formation de l’état russe : le caractère exclusivement commerçant des cités et de leur population ; — la vaste extension de leur activité commerciale, au sud

  1. Je ne puis traiter ici la question si controversée d’une dynastie normande établie à Kiev et du caractère germanique de l’état kiévien. La théorie normanique, presque délaissée dans la seconde moitié du XIXe siècle, semble reprendre force au commencement du XXe siècle (voir la revue complète de l’histoire de la question normanique dans Hruschevskyj, Geschichte des ukrainischen Volkes, t. I (1906), pp, 661 et suiv. Exc. II, Die normanische Theorie ; comp. V. O. Kluchevski, A history of Russia, vol. I (1911), pp. 54 et suiv. ; С. Платоновѣ, Лекціи по русской исторіи (Спб., 1909 6ое изд.), pp. 64 et suiv. Ces trois travaux, et avec eux celui de O. Bagalěj (Histoire de la Russie, Kharkov, 1912, en russe, cité de mémoire), donnent aussi la meilleure revue des conditions économiques et politiques de la Russie kiévienne. On en trouvera un exposé clair et précis surtout dans le livre de Kluchevski. L’exposé de Hruschevskyj est très long, contient des répétitions inutiles et donne un tableau vague et confus. Les idées maîtresses qui l’inspirent, à savoir la séparation complète de l’histoire russe et de l’histoire ukrainienne et la revendication pour cette dernière seule de l’histoire de l’état kiévien, font de la lecture du livre entier une tâche pénible. On le regrette d’autant plus que l’érudition de l’auteur est grande. Sur les recherches archéologiques à Kiev, voir : Гр. И.Толстой и Н. Кондаковѣ, Русскія древности, т. V (Спб., 1897) ; Н. Кондаковѣ, Русскіе клады (Спб., 1896) ; И. Грабарь, Исторія русскаго искусства, т. I, Архитектура (M., 1909) ; L. Réau, L’art russe des origines à Pierre le Grand, Paris. 1921 (pp. 196 et suiv.). Sur les dernières fouilles faites à Kiev, voir D. Milěev dans les Comptes rendus de la Commission Archéologique Impériale de Russie de 1908 à 1915 et dans le Bulletin de la Commission pour les mêmes années.