Page:Revue des études slaves, t. 1 et 2, 1921-1922.djvu/338

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sur l’histoire de la région du Dněpr à l’époque du haut empire romain[1].

C’est en tout cas à cette infiltration séculaire d’éléments germaniques dans la Russie méridionale qu’il faut songer pour comprendre ce qu’on est convenu d’appeler l’invasion des Gots au IIIe siècle après J.-C. : le débordement d’un flot germanique jusqu’à la mer Noire, la réunion progressive en un seul état de toutes les tribus germaniques de Russie, la destruction de certaines villes grecques du littoral de la mer Noire (Olbie et Tyras), la soumission de certaines autres, de Panticapée et du royaume bosphorien en général.

Nous connaissons assez mal le royaume got de la Russie méridionale. Il nous apparaît comme un centre d’où des expéditions de pillage et de destruction étaient dirigées contre les provinces de l’empire romain. Mais n’oublions pas que tout ce que nous savons représente le point de vue du monde romain. Les écrivains grecs et romains n’ont eu occasion de parler du royaume got qu’aux époques où ce royaume attaquait l’empire romain. Mais nous avons toute raison de supposer que ce caractère du royaume got a été exagéré par nos sources grecques et romaines. Le fait que les Gots n’ont détruit ni Panticapée, ni Chersonèse, qu’ils ont laissé Chersonèse dans les mains de l’empire romain, qu’ils ont gardé à Panticapée une dynastie de rois dont les noms ne sont pas des noms gots, nous montre que les Gots maintenaient des relations commerciales avec l’empire romain et que les rois bosphoriens du IIIe et du IVe siècles après J.-C. étaient leurs agents dans ce trafic. N’oublions pas que les empereurs romains du IIIe siècle et de la dynastie de Constantin envoyaient des présents, une sorte de tribut, aux dynastes et aux chefs bosphoriens, que la religion chrétienne s’est répandue en Crimée aux IIIe et IVe siècles et que les Gots eux-mêmes l’ont adoptée. N’oublions pas non plus que les Gots ont fondé en Crimée des villes nouvelles et qu’une de ces villes, Mangup, était située tout près de Chersonèse et a survécu de plusieurs siècles à la chute de l’empire got de la Russie méridionale[2].

  1. Voir sur cette question Hrusckevskjj, op. cit., pp. 141 et 571. La cité du Dnépr de la légende gote n’est pas nécessairement à Kiev.
  2. Voir sur les trouvailles de l’époque gote à Panticapée mon livre, The Iranians and the Greeks in South Russia, pp. 183 et suiv. Sur les tombeaux chrétiens de Panticapée voir Ю. Кулаковскій, Матеріалы по археологіи Россіи, t. VI et XIX. Sur l’histoire du Bosphore à partir de la fin du IIIe siècle après J.-C. voir E. Minns, Scythians and Greeks, pp. 608 et suiv., où on en trouvera la bibliographie. Les fouilles de Mangup nous ont fourni beaucoup de données sur la civilisation gote en Crimée ; de même les fouilles des nécropoles de Suuk-Su et de Gourzouf ; voir Hruschevskyj, op. cit., p. 672, et mon livre The Iranians and the Greeks, p. 235, cf. aussi le travail de R. Loeper (sur ses fouilles de Mangup).