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VARIÉTÉS.

de Bastilica aurait plutôt marché vers le monte d’Oro. Y eût-il consenti d’ailleurs, Pietro n’en avait pas moins juré de laisser croître sa barbe jusqu’à ce qu’il fût vengé, et Pietro était d’une race où, de père en fils, on ne manquait pas à cette parole-là. Plus d’une fois même il avait fait tressaillir la pauvre Cecca par ses malédictions contre son père et ses sermens de vengeance ; elle l’apaisait en le caressant, mais Pietro pouvait rencontrer son ennemi au coin d’un bois, et elle ne serait pas toujours là pour le caresser !

Bref, ce que Cecca craignait arriva. Son père, instruit, par quelque rival, de la scappata de sa fille chérie, chercha et finit par trouver Pietro, l’insulta, et lui dit que, s’il le rencontrait encore dans la pieve[1], il tirerait sur lui comme sur un gendarme. Pietro, hors de lui, oublia Cecca et ne pensa plus qu’à son père. Povero giovani, ajouta mon guide, ebbe un colpo di sangue[2]. Il tira sur le père de son amante ; mais l’amour détourna le coup, quoique tiré à bout portant, et celui-ci en fut quitte pour une légère blessure. Pietro se sauva dans les bois, et dès ce moment il fut bandito[3]. Il commença cette vie errante dans laquelle tant de Corses emploient, pour finir misérablement sous le fusil d’un gendarme, un courage et une énergie dignes d’une plus noble cause.

Alors aussi commença pour Cecca une vie nouvelle. Retenue prisonnière dans le village dont elle ne pouvait plus sortir, maltraitée par son père et par ses parens, elle sentit son cœur se roidir contre les mauvais traitemens dont elle était l’objet, et s’attacher davantage à celui qui lui coûtait tant. Observée le jour, elle s’échappait chaque nuit pour aller porter quelques paroles d’amour et de paix, à celui qui avait tout perdu pour elle ; elle prenait sur son sommeil pour le voir, sur

  1. Paroisse.
  2. C’est ainsi qu’on parle dans le pays d’un homme qui a fait un mauvais coup. Il a eu un coup de sang, dit-on, et on le plaint.
  3. Bandito (banni).