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LA FOLLE DE BASTILICA.

sa nourriture, le pain qui devait soutenir sa misérable vie. Elle seule connaissait l’impénétrable asile où il s’était réfugié, et chaque nuit, lors même que le tonnerre grondait sur sa tête, lorsque la pluie entraînait sous ses pas les pierres roulantes du sentier, lorsque les hauts pins, brisés par l’ouragan, s’abattaient sur son passage, Cecca n’en montait pas moins l’âpre sentier qui menait à la retraite de Pietro. Si le vent était fort, si la pluie était froide, elle n’en savait rien. Pauvre jeune fille ! tandis que mon guide, touché lui-même plus que je ne l’en aurais cru capable, me racontait avec son émotion naïve l’histoire de Cecca, il me semblait la voir, belle encore, comme on l’est, quand on est animée de cette sublime expression que nous prête le dévouement, franchissant au milieu de l’orage ces épais taillis, ces sentiers escarpés qui déchiraient ses pieds nus. Je me la peignais arrivant dans cette triste tanière, où, pour un instant, du moins, elle apportait le bonheur, partageant la couche humide de Pietro, réchauffant sur son sein brûlant cette tête glacée par la froide tramontana[1], et trouvant de douces paroles pour amollir cette ame aigrie par l’infortune. Oh ! qui pourra dire quel dut être l’amour de ces deux êtres, bannis du monde par leurs fautes comme par leurs souffrances, réduits à cacher comme des bêtes fauves, entre les rochers et les buissons de la montagne, leur hymen taché de sang ? Quels trésors de tendresse il devait y avoir dans l’ame de cette femme, qui, amante et fille à la fois, devait déguiser son amour, comme un crime, et dérober l’une de ses affections à l’autre, en trouvant pourtant dans son cœur place encore pour toutes les deux.

Nous nous arrêtâmes, et pour la première fois je songeai à regarder autour de moi. Nous étions sur une plate-forme de rochers qui dominait toute la vallée ; au fond était une caverne

  1. Vent des montages.