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VALACHIE.

sais peu la langue, et encore moins les mœurs, je passais mon temps, comme la plupart des riches valaques, à fumer, à boire, à chasser, à monter à cheval et à m’ennuyer ; je n’avais que le passe-temps de battre les paysans.

Un soir, au moment où mes Valaques rentraient de leurs travaux, j’étais dans la cour, occupé à faire entourer de palissades des marchandises qui devaient y passer la nuit, lorsqu’un bruit subit et inconnu attira mon attention. Cette rumeur, d’abord éloignée, croissait et se rapprochait à chaque instant ; c’étaient à la fois des voix d’hommes, des chants aigus et bizarres, des cris d’enfans et de femmes, des mugissemens d’animaux, etc. Je ne saurais rendre ce qu’avait d’effrayant, le soir, au milieu des longues plaines de la Valachie, cette discordante harmonie, que le vent apportait jusqu’à nous. Si je me fusse trouvé dans le désert, j’aurais cru entendre une horde de Bédouins ou une caravane avec ses chameaux. Je ne m’étais pas trompé de beaucoup, car les déserts de la Valachie ont aussi leurs caravanes et surtout leurs Bédouins. — Qu’est-ce donc, sainte mère de Dieu, demandai-je au premier domestique de mon ami, vigoureux paysan, dont on avait fait, malgré lui, un habitant du comptoir : Qu’est-ce donc, Bivalaki ? — Encore une huitième plaie d’Égypte, monseigneur. — Comment, sont-ce des sauterelles ? — Non, monseigneur ; pire que cela : des Bohémiens. — Des Bohémiens ! m’écriai-je, à mon tour ; et je pâlis à l’idée des marchandises de mon ami, exposées en plein air. Les longues lances d’une troupe d’Arabes m’auraient fait moins peur que l’idée de ces longs doigts crochus de Bohémiens furetant mes ballots. — Et vont-ils passer la nuit ici ? il faut les renvoyer plus loin ; il faut qu’ils partent à tout prix. — Dame, monseigneur, nous ferons bonne garde, cette nuit, et nos voleurs se rabattront sur les poules du village ; malheur à celles qui auront découché. — Mais nous ne pouvons pas souffrir que des bandits viennent ainsi rançonner le vil-