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cieuse mélancolie dont elle est empreinte, soit par l’admirable simplicité de sa diction.

— Pope, en Angleterre, et Cesarotti, chez les Italiens, se sont essayés à Homère, et le temps, ce grand niveleur des renommées, a sanctionné les suffrages des deux nations. Il restait la même place à prendre dans notre littérature ; et ce n’est pourtant pas faute de tentatives : car, à Rochefort et à Lamotte ont succédé Dobremès, Saint-Ange, Beaumanoir et M. Aignan, dont la traduction seule, grâce à quelques beaux passages, a survécu. Sans être découragé par tant d’efforts infructueux, M. Bignan[1] s’est à son tour lancé dans la carrière, et il a soumis le rythme libre et énergique du poeta sovrano à la cadence timide et contrainte du vers français. Si une profonde étude de son modèle, une vive intelligence de ses naïves et poétiques beautés suffisent pour assurer la victoire, certes M. Bignan l’a remporté sur ses devanciers. L’essai sur l’épopée homérique atteste de longues et laborieuses veilles, et ce travail de l’érudit sera, nous n’en doutons point, consulté avec fruit par tous ceux qui voudront se former une opinion sur la mystérieuse création du vieux barde grec. Mais que de difficultés offrait une traduction ! comment espérer de lutter avec une langue monotone, lourde sous une apparence de légèreté, contre

Un langage sonore aux douceurs souveraines,
Le plus beau qui soit né sur des lèvres humaines !

Ces difficultés, M. Bignan les a plus d’une fois surmontées. Son vers toujours nombreux et facile a souvent réflé-

  1. Traduction de l’Iliade en vers français, précédée d’un Essai sur l’épopée homérique, par M. Bignan. Paris, Belin-Mandar, 2 vol in 8o ; 1830.