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PLIK ET PLOK.

rapidement le long de la muraille, et le Gitano tomba aux pieds de la nonne, sanglant, mutilé, le crâne ouvert ! On venait sans doute de couper les amarres qui retenaient l’échelle en dehors.

— Je suis trahi ! s’écria le Bohémien, et ses yeux se tournèrent vers la nonne, qui était à genoux, les mains jointes, pâle, immobile, le regard fixe, la respiration suspendue.

— Rosita, Rosita, tâche de me traîner derrière ces orangers, avant que le jour paraisse, car je ne puis me soulever ; oh ! je souffre bien.

Le malheureux avait la cuisse brisée, et les os trouaient la peau.

— Rosita, mon amour, ma Rosita, aide-moi !… répéta-t-il d’une voix faible.

La nonne poussa un éclat de rire violent et saccadé, ses yeux s’agrandirent d’une manière effrayante ; mais elle ne bougea pas.

— Enfer ! la malheureuse devient-elle folle ? s’écria le Gitano ; et il voulut prendre la main de la jeune fille, mais ce mouvement lui arracha un cri perçant.

Sa fracture était vive et saignante.

Tout à coup on entendit un bruit, d’abord sourd et confus, dans la direction de la porte du jardin.

— Rosita ! Rosita ! c’est ton amant qui t’en prie, sauve-toi, du moins sauve-toi ! disait le Bohémien d’un ton déchirant.

Elle restait immobile et agenouillée devant lui.

Le bruit devenant plus distinct et plus rapproché, il essaya de se traîner derrière un épais bouquet de chèvrefeuille qui pouvait le cacher à tous les yeux.

Après des souffrances inouies, il parvint à s’y blottir.

Tout à coup la porte du cloître s’ouvrit, et une foule de douaniers, de moines, de gens du peuple envahit le jardin en poussant d’atroces rugissemens.

— Mort au damné ! mort au maudit ! criait-on de toutes parts.

Le Gitano se glissa comme un serpent derrière une touffe d’aloës. La foule arriva près du mur, auprès du palmier, et là trouva la nonne, toujours agenouillée, toujours immobile, toujours les mains jointes.

Ces cris désordonnés la tirèrent du paroxisme où elle était plongée ; elle baissa les yeux, vit du sang fraîchement répandu, et sourit. Mais ses lèvres s’étaient si convulsivement rétrécies, que ce sourire était atroce.