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FRAGMENS LITTÉRAIRES.

La foule frémit, se signa et resta muette.

La nonne alors, faisant signe de la main à ceux qui l’entouraient, se mit à suivre à genoux la trace sanglante que le Gitano avait laissée sur le sable. Tous marchaient en silence et frappés d’horreur ; il arrivèrent enfin au buisson qui recélait le Bohémien.

Là, Rosita s’arrêta un moment pour écarter les feuilles épaisses et vernissées des aloës, se fit jour à travers cet épais taillis, se traîna auprès du maudit, poussa un cri terrible, et tomba à ses côtés… morte…

— Le renégat est là ! Cernez cet endroit et repoussez le peuple. Rends-toi, chien ! car vingt carabines sont braquées sur toi. En joue, vous autres ! s’écria le commandant des garde-côtes.

Les batteries craquèrent.

— Pauvre enfant ! tu ne souffriras pas leurs tortures, au moins, dit le Gitano en regardant la Monja ; et une larme, que les plus affreuses douleurs n’avaient pu lui arracher, tomba sur sa joue brûlante.

— Rends-toi, renégat ! ou je fais feu ! répéta le commandant.

— Yous êtes des vaillans, mes fils, répondit le Gitano ; le cerf est aux abois et vous le craignez encore ! Belle chasse, sur ma parole !

Il se tut. On se précipita sur lui, on le garrotta, et trois jours après il était à Cadix, dans la prison de San-Augusto, sous la garde d’un bataillon de miliciens.


N’est-ce pas là l’Espagne avec son beau ciel, ses couvens et son ardente populace, avec ses jeunes filles aux passions soudaines ? Cependant Kernock le pirate nous paraît supérieur au Gitano. L’orgie après la prise, le combat terrible où l’équipage du brick l’Épervier, après avoir épuisé toutes ses munitions, reçoit son ennemi, prêt à monter à l’abordage, avec une mitraille de piastres et de dollars ; l’oraison funèbre de Kernock, qui finit par se faire marguillier de sa paroisse, sont des tableaux admirables de vérité, des pages frappées