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L’ENFANT MAUDIT.

mide créature, pour qu’elle osât essayer, comme certaines femmes adroites, de gouverner le comte en mettant du calcul dans sa conduite ou en prostituant son cœur ; elle soupira, s’éloigna en silence, soumise et cachant son désespoir.

— Tête-dieu pleine de reliques ! je ne serai donc jamais aimé !… s’écria le comte, en surprenant une larme dans les yeux de sa femme, au moment où elle sortit.

Par une espèce de sortilége, dont toutes les mères ont le secret, et qui avait encore plus de force entre la comtesse et son fils, elle réussit à lui faire comprendre le péril qui le menaçait sans cesse, et lui apprit à redouter l’approche de son père. La scène terrible dont Étienne avait été témoin se grava dans sa mémoire, de manière à produire en lui une maladie. Il finit par pressentir la présence du comte avec tant d’instinct, que, si un de ces sourires dont les mères connaissent les signes imperceptibles animait sa figure au moment où ses organes imparfaits, déjà façonnés par la crainte, lui annonçaient la marche lointaine de son père, ses traits se contractaient, et l’oreille de la mère n’était pas plus alerte que le sentiment intérieur du fils. Avec l’âge, cette faculté de terreur grandit au point qu’Étienne, semblable aux sauvages de l’Amérique, distinguait les pas de son père, savait écouter sa voix éclatante à des distances éloignées, et prédisait sa venue.

Voir le sentiment de terreur que son mari lui inspirait, partagé sitôt par son enfant, le rendit encore plus précieux à la comtesse ; et leur union se fortifia si bien, que, comme deux fleurs nées sur la même tige, ils se courbaient sous le même vent, se relevaient par la même espérance. C’était une même vie.

Au départ du comte, Jeanne commençait une seconde grossesse ; et, cette fois, elle accoucha au terme voulu par les préjugés.

Elle mit au monde, non sans des douleurs inouies, un gros garçon, qui, dix-huit mois après, offrit une si parfaite ressemblance avec son père, que la haine du comte pour