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LITTÉRATURE.

Il dépouillait toute sa rudesse pour parler au pauvre enfant. Il allait doucement le prendre par les temps de pluie ; et, l’arrachant à sa rêverie, il le ramenait au logis. Il mit de l’amour-propre à remplacer la comtesse de manière à ce que le fils trouvât, sinon le même amour, du moins les mêmes attentions… Cette pitié ressemblait à de la tendresse.

Or, comme le vieil écuyer s’attachait de plus en plus à son maître, Étienne supporta sans plainte et sans résistance les soins du serviteur ; mais il n’y eut jamais de sympathie entre eux : tous les liens étaient brisés entre l’enfant maudit et les autres créatures. Sa mère avait emporté dans la tombe tout ce qu’il pouvait porter d’amour à un être de son espèce. Il semblait que son cœur eût été brisé comme son corps par la nature.

Aussi devint-il une sorte de créature intermédiaire entre l’homme et la plante, ou peut-être entre l’homme et Dieu. Son âme conservait une pureté native. Il ignorait les lois sociales, les faux sentimens du monde, et n’obéissait qu’à l’instinct de son cœur.

Néanmoins, malgré sa sombre mélancolie, il sentit bientôt le besoin d’aimer, d’avoir une autre mère, une autre âme à lui ; et, comme une barrière d’airain s’élevait entre lui et la civilisation, à force de chercher un être auquel il pût confier ses pensées et dont il pût partager la vie, il finit par sympathiser avec l’océan.

Toujours en présence de cette immense création, dont les merveilles cachées contrastent si puissamment avec celles de la terre, il y découvrit d’étonnans mystères. Familiarisé dès le berceau avec l’infini de ces campagnes humides, la mer et le ciel lui racontaient d’admirables poésies. Pour lui, tout était varié dans ce large tableau, si monotone en apparence. Comme tous les hommes dont l’âme domine le corps, il avait une vue perçante, et pouvait saisir à des distances énormes, avec une admirable facilité, sans fatigue, les nuances les plus fugitives de la lumière, les tremblemens les plus éphémères de l’eau. Il admirait même, par un calme parfait, les teintes