Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 1.djvu/189

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
177
L’ENFANT MAUDIT.

multipliées de la mer, qui, semblable à un visage de femme, avait alors une physionomie, des sourires, des idées, des caprices ; là verte et sombre, ici riant dans son azur… tantôt unissant ses lignes brillantes avec les tremblantes lueurs de l’horizon, tantôt se balançant d’un air doux sous des nuages bruns… Il y avait pour lui des fêtes magnifiques pompeusement célébrées au coucher du soleil, quand l’astre versait ses couleurs rouges sur les flots comme un manteau de pourpre. La mer était gaie, vive, spirituelle au milieu du jour, lorsqu’elle frissonnait en répétant l’éclat de la lumière par mille facettes éblouissantes ; puis, elle lui révélait d’étonnantes mélancolies, et le faisait pleurer, lorsque, résignée, calme et triste, elle réfléchissait un ciel gris chargé de nuages… Il avait saisi tous les langages muets de cette immense créature : le flux et reflux était comme une respiration mélodieuse dont chaque soupir lui peignait un sentiment. Il en comprenait le sens intime, et nul marin, nul savant n’aurait pu prédire mieux que lui la moindre colère de l’océan, le plus léger changement de sa face. À la manière dont le flot venait mourir sur le rivage, il devinait les houles, les tempêtes, les grains, la force des marées…

Quand la nuit étendait ses voiles sur le ciel, il la voyait encore sous les lueurs crépusculaires, et conversait avec elle. Enfin, il participait à sa grande et féconde vie : il éprouvait en son âme une véritable tempête quand elle se courrouçait ; il respirait dans ses sifflemens aigus, courait dans ses lames énormes qui se brisaient en mille franges liquides sur les rochers, se sentait intrépide et terrible comme elle ; et, comme elle, bondissait par des retours prodigieux, gardait des silences mornes, imitait ces clémences soudaines… Il avait épousé la mer. Elle était sa confidente, son amie, son bonheur.

Le matin quand il venait sur ses rochers, en parcourant les sables fins et brillans de la grève, il reconnaissait l’esprit de l’océan par un simple regard : il en voyait soudain les paysages, et planait ainsi sur la grande face des eaux,