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Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 1.djvu/198

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LITTÉRATURE.

quatre hommes suffirait à peine à amasser. L’auteur est tout à tour peintre, architecte, historien, cabaliste, médecin, que sais-je moi ? Maintenant que j’ai lu Notre-Dame de Paris, si j’étais malade, j’aimerais autant consulter M. Victor Hugo que M. Alibert ; et si j’avais une maison à faire bâtir, je le choisirais certes plutôt que M. Lebas.

Ah ! j’oubliais encore qu’avec tout cela il est poète.

Et je l’oubliais, parce que la poésie est chose dont se passent assez habituellement nos romanciers ; c’est pour eux du luxe. Pauvres gens, qui ne comprennent pas qu’en art il n’y a de positif que l’idéal, comme dans la vie il n’y a de nécessaire que le superflu !

Mais pourquoi cette poésie est-elle si railleuse ?

Ah ! c’est qu’il a regardé ce malheureux monde d’en haut, et qu’il l’a pris moitié en pitié, moitié en mépris.

Il y a créé des êtres ;… puis il n’en a pas été plus content que Dieu ne l’avait été des races antédiluviennes. Mais ne voulant pas les noyer, il en a ri.

À quelques-uns il a donné des formes légères et gracieuses.

C’est la Esmeralda, espèce d’Almée du moyen âge, Taglioni bohémienne, danseuse presque ailée, qui, tandis que les autres sautent et retombent, monte et redescend : vision de nuit comme il en passe dans les rêves avant qu’on ait atteint dix-huit ans.

C’est Jehan Frollo, tête espiègle d’écolier, espèce de pomme d’api avec des cheveux blonds : malin, débauché, moqueur, effronté, gourmand, joueur, dont toute la courte vie n’est que plaisanterie et joie… et dont la mort hideuse fera dresser vos cheveux sur votre front mouillé de sueur… Pauvre enfant !…

À quelques autres il donne des masques grotesques ou terribles.

C’est Gringoire, poète dramatique qu’on croirait de nos jours, tant il a de tribulations dans la représentation de ses ouvrages ; philosophe stoïcien, tantôt architecte, tantôt hermétique, tantôt saltimbanque : obligé de vivre de sa tête, partant vivant mal… soit que son front compose des mys-