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LITTÉRATURE.

maient en groupes, s’avançaient sur la jetée, où les rayons du soleil couchant étalaient leur clarté rougeâtre à travers les voiles détendues, les cordages, les pavillons et les mâts qui s’élevaient de toutes parts.

Quelque pittoresque que fût un pareil spectacle, il n’attira pourtant pas le moins du monde l’attention d’un jeune homme qui traversait précipitamment le port.

Je le crois : toutes ses sensations se trouvaient absorbées par l’une de ces joies ardentes et sans restriction qui viennent si rarement dans la vie dilater la poitrine d’un homme. Encore faut-il pour cela qu’il soit jeune et qu’il aime.

Loin de songer à remarquer des effets de lumière, le jeune homme ne songeait même pas à regarder devant lui ; néanmoins la précaution aurait été bonne, car deux fois il s’attira des interpellations assez énergiques ; puis enfin, il se trouva dans les bras d’une personne qui, d’un ton phlegmatique, et avec un accent anglais non équivoque, lui demanda :

— Paul, êtes-vous fou ?

— Sydney, mon ami ! vous, en ce moment ! Je vous croyais à Londres : c’est mon bon ange qui vous envoie. Oh ! je suis le plus heureux des hommes !

Après ce début, qu’un professeur de rhétorique appellerait un exorde ex abrupto, Paul passa son bras sous celui de l’ami qu’il avait rencontré d’une façon si opportune, se mit à lui raconter la cause de sa joie. Rien ne convient à une narration animée comme une marche précipitée, et Paul entraînait avec tant de rapidité son auditeur, que ce dernier s’écria :

— Dieu me damne ! vous ne savez donc pas que j’ai une balle dans la jambe ?

Cette interjection ralentit, pour quelques instans, la marche de Paul. Néanmoins il reprit insensiblement son allure hâtée, et quand tous deux arrivèrent à l’hôtel où logeait Sydney, le front tout humide de l’insulaire attestait qu’il n’avait pas suivi le Français sans fatigue.

— Mon ami, dit-il en s’arrêtant, et avec une gravité toute