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Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 2.djvu/138

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VARIÉTÉS.

à l’endroit même où elle tombe, si près, qu’elle venait baigner mes pieds. On ne peut en voir le fond ; une vapeur blanche comme la neige, qui y tourne sans cesse, et qui s’en élève en larges et épaisses colonnes, empêche de rien distinguer.

Un peu plus loin, un escalier en colimaçon, et entouré de planches, descend le long d’un rocher à pic, à cent trente pieds, à quelque distance du bas de la chute. On passe alors dans une petite cabane, où l’on vous donne une capote de toile cirée, un chapeau ciré, de gros souliers, un parapluie même ; mais ces précautions sont presque inutiles, car, avant d’arriver à cette maison, on est déjà percé de part en part. Rien ne peut rendre ce qu’on éprouve là devant ces masses étourdissantes. Le craquement épouvantable de cette mer qui tombe, ces tourbillons de vapeurs qui vous éblouissent et vous coupent la respiration, ces coups de vent qui vous décoiffent et enlèvent votre parapluie (comme le mien qui vole encore), ne peuvent s’exprimer.

À quatre heures, nous allâmes en voiture jusqu’au lieu d’embarcation pour passer au côté américain. La rivière a dans cet endroit deux cent cinquante pieds de profondeur ; et lorsqu’on arrive au rivage après avoir bien dansé sur les vagues, on est à moins de cent pieds de la chute.

Un escalier très-élevé monte jusqu’au haut, et n’en est qu’à quarante pieds, de sorte qu’on peut jouir de la vue à son aise. Un peu plus haut, la rivière se passe sur un pont construit sur les rocs, au milieu des rapides, où l’eau descend et se brise avec une force et une vitesse effrayantes. On entre alors dans Goat Island, l’île qui sépare les deux chutes, où s’élève une forêt d’arbres énormes. On la traverse, et on trouve un pont posé sur les rochers, sur une partie même de la chute, et qui se termine à l’endroit où elle tombe à pic. Ce pont est constamment agité par les coups de vent produits par le mouvement de cette masse d’eau qui tombe, et c’est un imposant spectacle que celui qu’on a, en se penchant à l’extrémité, et en interrogeant l’abîme au-dessous de soi.