Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 2.djvu/419

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
409
LA NOUVELLE-ÉCOSSE.

le ruisseau, quand soudain au milieu du pont mon chien s’arrête, dresse l’oreille, et regarde du côté du bois. J’arrive près de lui, et je vois vingt soldats habillés de bleu, le capitaine Pigeon habillé de bleu aussi, l’épée à la main, ayant de l’eau jusqu’aux genoux, traverser le ruisseau. Il faisait frais et je commençais à trembler. Peu à peu ils entrèrent tous dans le bois, en silence : j’entendis le bruit des haches contre les arbres ; je vis leur sommet s’agiter, et les oiseaux perchés dessus pour y passer la nuit s’envoler. Je les entendis craquer et tomber, et tout d’un coup des cris horribles qui me firent frémir retentirent de tous côtés. Le feu brilla à travers les arbres, les coups de fusil se firent entendre : il m’a semblé qu’une balle passa devant moi ; aussitôt je me mis à courir, et je ne m’arrêtai qu’arrivé en ville. »

Je fus curieux de voir ce fameux creek, que je n’avais pas remarqué en venant ; j’y allai un soir avec mon compagnon de voyage. À peine arrivés à la tête du pont, nous entendîmes un grand bruit dans l’eau. Bien que je ne m’attendisse pas à voir le capitaine Pigeon, je courus aussitôt de ce côté, et j’aperçus un grand caribou, arrêté au milieu du creek, qui, après m’avoir regardé assez long-temps, sauta hors de l’eau et s’enfonça dans le bois.

La terre d’Amérique est réellement une terre de progrès : où se voient maintenant des arbres chargés de fruits, et des champs très-bien cultivés, il y a peu d’années encore, les caribous et les mouses se promenaient en toute liberté, et rien, excepté lorsque la brume s’élevait et découvrait les huttes des Indiens, ne révélait humaine existence dans la large et belle vallée d’Annapolis.


Eugène Ney.