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VICTOR HUGO.

ser plus en détail deux portions qui se mêlent intimement à la chronique fugitive de notre poésie contemporaine ; ce sont les deux périodes que j’appellerai de la Muse française et du Cénacle.

Si l’on se reporte par la pensée vers l’année 1823, à cette brillante ivresse du parti royaliste, dont les gens d’honneur ne s’étaient pas encore séparés, au triomphe récent de la guerre d’Espagne, au désarmement du carbonarisme à l’intérieur, à l’union décevante des habiles et des éloquens, de M. de Chateaubriand et de M. de Villèle ; si, faisant la part des passions, des fanatismes et des prestiges, oubliant le sang généreux, qui, sept ans trop tôt, coulait déjà des veines populaires ; — si on consent à voir dans cette année, qu’on pourrait à meilleur droit appeler néfaste, le moment éblouissant, pindarique, de la restauration, comme les dix-huit mois de M. de Martignac en furent le moment tolérable et sensé ; on comprendra alors que des jeunes hommes, la plupart d’éducation distinguée ou d’habitudes choisies, aimant l’art, la poésie, les tableaux flatteurs, la grâce ingénieuse des loisirs, nés royalistes, chrétiens par convenance et vague sentiment, aient cru le temps propice pour se créer un petit monde heureux, abrité et recueilli. Le public, la foule n’y avait que faire, comme bien l’on pense ; en proie aux irritations de parti, aux engouemens grossiers, aux fureurs stupides, on laissait cet éléphant blessé bondir dans l’arène, et l’on était là tout entre soi dans la loge grillée. Il s’agissait seulement de rallier quelques âmes perdues qui ignoraient cette chartreuse, de nourrir quelques absens qui la regrettaient, et la Muse française servit en partie à cela. C’était au premier abord dans ces retraites mondaines quelque chose de doux, de parfumé, de caressant et d’enchanteur ; l’initiation se faisait dans la louange ; on était reconnu et salué poète à je ne sais quel signe mystérieux, à je ne sais quel attouchement maçonnique ; et dès-lors choyé, fêté, applaudi à en mourir. Je n’exagère pas ; il y avait des formules de tendresse, des manières adolescentes et pastorales de se nom-