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RÉVOLUTION POLONAISE.

piste dans sa manière de voir. Un des héros du 29 novembre, il influa beaucoup, au commencement de la révolution, sur l’esprit des masses. Lelewel ne cessait de dire aux doctrinaires : — « Laissez à tous la liberté de parler, ne les empêchez que de faire le mal : cette liberté est d’une utilité incalculable au milieu des difficultés inséparables d’une révolution, et les exagérations qu’elle entraîne ne méritent bien souvent d’autre répression que le sourire des hommes sages. Elle met en mouvement les masses, dans un moment où la nation soulevée ne trouve sa force que dans les masses ; enfin les hommes, tels que les romantiques[1] polonais, qui ne raisonnent que d’après leur sentiment, font jaillir mille idées lumineuses que cherche en vain la froide raison des autres. »

La dictature fut d’abord un véritable bienfait pour le pays. Chlopicki réunit autour de lui tout le peuple ; sa réputation de bravoure et de probité, les persécutions qu’il avait essuyées, lui concilièrent l’opinion. Mais il conserva le nom de Nicolas dans tous les actes officiels et dans les prières des prêtres, et ne fit de préparatifs que pour une guerre défensive. En haine de l’anarchie, il se déclara le premier champion de l’autorité royale, quoique ses adversaires ne l’attaquassent que comme usurpation étrangère. Ne pouvant créer une aristocratie dans un pays où il n’y en a jamais eu, il s’entoura de préférence des hommes qui professaient des idées aristocratiques, et qui par là étaient l’objet

  1. Cette dénomination de romantiques donnée à des hommes politiques, demande quelques mots d’explication. La censure du Czaréwitch ne tolérait d’autre polémique que celle des classiques et des romantiques. Ceux-ci, en s’élevant contre les lois arbitraires de la littérature classique, prêchaient une liberté illimitée dans les ouvrages d’esprit. Du libéralisme littéraire au libéralisme politique, il n’y a qu’un pas ; aussi étaient-ils presque tous libéraux, et exposés comme tels aux persécutions. Leurs adversaires, au contraire, jouissaient pour la plupart des faveurs du pouvoir. Depuis la révolution, la dénomination de romantiques s’applique au libéralisme politique dans sa plus grande extension.