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LITTÉRATURE.

dégoutte aussi ; le sol boit avidement le sang chaud. Chaque jeune fille en est triste, bien triste au cœur.

» Dans la terre froide le jeune homme repose ; le chêne croît sur lui depuis la racine jusqu’au rameau ; ses branches s’étendent au loin.

» Et le cerf erre avec son épaisse ramure, il s’élance en sauts rapides, il relève son cou svelte vers le feuillage.

» De toute la forêt, des essaims d’éperviers affamés viennent sur le chêne les ailes étendues ; tous ils glapissent tout haut sur le chêne ; le jeune homme est tombé, il est tombé par la colère de l’ennemi : autour du jeune homme, chaque fille va pleurer. »

Les fragmens épiques appartiennent à des époques différentes, autant par leur forme que par les sujets sur lesquels ils reposent. Dans la plupart on retrouve les traditions nationales que l’ancien chroniqueur bohémien, Cosmas, a recueillies, avant l’an 1125, de la bouche des vieillards. Il y a entre eux tout un intervalle de plus de six siècles, d’où il résulte qu’ils sont, en quelque manière, un abrégé poétique de la destinée entière de la Bohême. Les deux premiers racontent les luttes de la race slave contre les Thuringiens après son arrivée sur les bords de l’Elbe, plus de deux cents ans avant sa conversion au christianisme. Son culte des oiseaux de proie et des arbres plane encore sur tout le sujet ; et ce qui l’anime contre ses ennemis, c’est le sacrilége des tribus qui ont coupé les chênes sacrés des forêts et dispersé les éperviers. Il y en a un autre qui raconte les guerres intérieures des Bohémiens avec la Pologne, dans le onzième siècle, et la reprise de Prague par Jaromir ; un autre est un chant de détresse du treizième siècle, pendant la fatale tutelle du margrave de Brandebourg, un cri de douleur et de colère pendant l’oppression saxonne. Enfin les débris de l’épopée bohémienne se groupent autour des souvenirs de l’invasion mongole des fils de Dschemgis-Khan, au treizième siècle, comme l’épopée germanique s’était déjà formée au-