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LITTÉRATURE.

la poésie de l’Arabie et de la Perse. Jusqu’à leur découverte, ce lien était rompu ; et, tout incomplets qu’ils sont, ils achèvent néanmoins de clore le rideau de cette grande tente de poésie, sous laquelle s’endort l’Europe primitive pour y voir en songe, comme le Richard iii de Shakspeare, ses destinées du lendemain.

Nous traduisons ici le premier de ces chants :

« De la Forêt-Noire s’élance un rocher, sur le rocher gravit le fort Zaboj ; il regarde les clairières de tous côtés, toutes les clairières frémissent autour de lui, et il soupire, comme quand les colombes pleurent. Long-temps il s’assied, long-temps il couve sa douleur ; et il se dresse en sursaut, semblable au cerf. Au loin, à travers le bois, à travers les sentiers nus, il court d’un homme à un autre homme, il court d’un héros à un autre héros dans tout le pays : à tous il dit en secret de courtes paroles, il s’incline en face des dieux, il se hâte vers d’autres.

» Et un jour se passe, il s’en passe un second ; et comme la lune paraît à la troisième nuit, les hommes s’assemblent dans la Forêt-Noire. Là, Zaboj les conduit dans la vallée, les conduit dans la forêt profonde, jusqu’au dernier creux de la vallée. Au loin au-dessous d’eux, au loin se place Zaboj ; il prend son éclatante Guzla.

» Hommes, frères de cœur aux regards de flamme ! je vous chante un chant, je vous le chante du dernier creux de la vallée ; c’est du cœur qu’il part, c’est bien du fond du cœur courbé sous la douleur.

» Allez aux aïeux de vos pères, laissez derrière vous dans la terre d’héritage les enfans orphelins, laissez les femmes orphelines, et qu’à personne il ne soit dit : Frère, dis-leur des paroles de père.

» Et puis vient l’étranger avec violence dans la terre d’héritage, et, avec la langue de l’étranger, ici règne l’étranger ; et ce qui est la coutume dans la terre de l’étranger, du matin jusqu’au soir, c’est ce qui fait la loi aux enfans comme aux