Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 3.djvu/508

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
484
LITTÉRATURE CRITIQUE.

sur toutes les terres, en lance sur tous les océans ; un de ces hommes secs, froids, braves, ironiques observateurs qui viennent projeter sur tous les événemens l’ombre inquiétante de la Grande-Bretagne, tirer leur montre au dernier soupir de nos grands hommes, et faire entendre sous tous nos chants de victoire la basse continue de Rule Britannia. — Vous verrez ce que celui-là faisait à Alger.

De quel tableau vous donnerai-je donc l’esquisse ? Sera-ce de la grande journée du débarquement ? — La surprise et presque l’humiliation, si finement observée de tous les marins à la vue d’Alger, ville blanche sur un fond verd, la mer bleue à ses pieds ; d’Alger endormie, sans pavillon, sans canon, dédaigneusement couchée sur son lit de verdure et respirant ses parfums sans se soucier d’une flotte de trois cents bâtimens qui lui apportait trente mille soldats. La beauté du jour et du coup-d’œil, la gaîté ardente du soldat parisien fourbissant son cher fusil à bord des vaisseaux avec la paille de fer et le tripoli, recevant des cartouches comme des fruits délicieux, et demandant le plancher des vaches. L’habileté du débarquement, la bravoure calme du général, toujours spirituel et poli sous le boulet qui siffle à son oreille ou s’enterre à ses pieds. L’attente du combat durant la nuit, longue aux Français, le débordement des Arabes, inondant la plaine en tombant des montagnes ; la rage de leur combat, la légèreté de leur fuite, l’adresse de leur tir inévitable et la longueur de leurs fusils ; la prudence de leurs tirailleurs, la loyauté imprévoyante de nos soldats qui ouvrent la poitrine aux balles. La France, maîtresse de la côte, et y posant un pied qui prend racine tout à coup.

— Puis, tout à coup aussi, c’est une tempête effroyable qui s’annonce. Mare sœvum, importuosum, répète le voyageur en se rappelant Salluste. Les marins crient, les bâtimens tremblent, la mer blanchit et écume, le vent souffle avec le tonnerre, et toute la flotte bondit et se heurte. L’armée de terre se retourne et regarde l’autre armée, sa sœur, qu’elle ne peut pas secourir. Les Bédouins rôdent au bord de la mer, espérant le naufrage et des têtes à couper sans