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DE LA PROPRIÉTÉ.

Mais dans ce monde qui n’oppose pas à l’homme une résistance morale, et qui ne combat sa dictature que par des forces qui s’ignorent elles-mêmes, l’homme n’est pas seul. Il n’est solitaire ni dans sa faiblesse ni dans sa puissance. Ce n’est pas un naufragé jeté dans une île déserte ; ce n’est pas non plus comme un immense individu qu’un empereur romain avait rêvé dans sa gigantesque folie, et auquel il souhaitait une seule tête, pour la lui couper d’un seul coup. La même pensée qui anime l’homme, il la reconnaît chez un autre ; la même volonté qui le pousse, il est obligé de la confesser chez autrui, de telle façon que rencontrant des êtres semblables à lui, il prononce ces deux mots éternels et indestructibles : le mien et le tien, mots qu’il ne prononcerait pas si, par une hypothèse de l’imagination, nous pouvions supposer le monde habité par un seul individu, mots dont il n’est pas convenu arbitrairement, mais qui lui sont arrachés par la nature, par lesquels il fait en même temps sa part et celle de ses semblables.

Ce n’est plus là le rapport de l’homme à la nature, mais le rapport de l’homme à l’homme, d’une individualité avec une autre individualité. À côté de ma cabane et de la terre que j’ai cultivée, un homme a construit sa maison ; nous avons la même raison l’un et l’autre pour qu’il n’empiète pas sur mon domaine, pour que je respecte le sien : cela était à moi, car je m’y étais déployé le premier ; j’y avais mis mon empreinte, mon travail, ma personnalité ; et voilà la signification du droit du premier occupant. Ce que s’est approprié mon voisin, je n’y avais pas songé ; ma personnalité n’avait pas paru sur ce théâtre ; la sienne se montre, devient maîtresse à son tour, et voilà deux libertés qui s’acceptent sur un pied parfait d’égalité.

Mais n’y a-t-il pas autre chose ? Nous avons saisi deux termes ; rapport de l’homme avec la nature, rapport de l’homme avec l’homme : est-ce tout ? Cherchons bien. Voici quelque chose de nouveau ; voici un troisième rapport différent des deux autres, qui dès lors aura d’autres lois et d’au-