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LE RENDEZ-VOUS.

que de stupeur. — Elle était surprise en entendant des paroles dont elle pressentait la sagesse plutôt qu’elle ne la comprenait ; elle était effrayée en retrouvant, sous une forme plus douce, l’arrêt porté par son père sur Victor, dans la bouche d’une parente pleine d’expérience.

Ayant peut-être une vive intuition de l’avenir, et appréhendant déjà pour le malheur qui l’attendait, elle fondit en larmes, et se jeta dans les bras de la vieille marquise, en lui disant :

— Soyez ma mère !…

La tante ne pleura pas, parce que les femmes de l’ancienne monarchie ont peu de larmes dans les yeux. Autrefois l’amour, et plus tard la révolution, les ont familiarisées avec les plus terribles et les plus poignantes péripéties, en sorte qu’elles conservent au milieu des dangers de la vie une dignité froide, une affection sincère, mais sans expansibilité, qui leur permet d’être toujours fidèles à l’étiquette, et à cette noblesse dans les choses de la vie, que les mœurs nouvelles ont eu le grand tort de répudier.

Mais la marquise prit la jeune femme dans ses bras, la baisa au front avec une certaine tendresse, une grâce particulière, qui souvent se trouvent plutôt dans les manières et les habitudes de ces femmes d’ancienne aristocratie que dans leur cœur. Elle cajola sa nièce par de douces paroles, lui promit un heureux avenir, la berça par des promesses d’amour, l’aidant à se coucher, comme si elle eût été sa fille, une fille chérie, en qui elle eût revécu, et dont elle épousât la situation, les pensées, l’espoir et les chagrins.

Elle se revoyait jeune, elle se retrouvait inexpériente et jolie en sa nièce.

La comtesse s’endormit heureuse d’avoir rencontré une amie, une mère, à qui, désormais, elle pourrait tout dire.

Le lendemain matin, au moment où la tante et la nièce s’embrassaient avec cette cordialité profonde et cet air d’intelligence qui prouvent un progrès dans le sentiment, une cohésion plus parfaite entre deux âmes, elles entendirent le