Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 3.djvu/576

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
552
LITTÉRATURE.

pas d’un cheval au dehors, tournèrent la tête en même temps et virent le jeune lord anglais qui passait lentement, selon son habitude. Il paraissait avoir fait une certaine étude de la vie que menaient ces deux femmes solitaires ; et jamais il ne manquait à se trouver à leur déjeuner et à leur dîner. Son cheval ralentissait le pas sans avoir besoin d’en être averti ; et, pendant le temps qu’il mettait à franchir l’espace que prenaient les deux fenêtres de la salle à manger, sir Arthur jetait un regard mélancolique, la plupart du temps dédaigné par la comtesse, qui n’y faisait aucune attention. La marquise seule, obéissant à ces curiosités de la vie retirée et sans événemens qui rend la province si triste et pleine de petitesses dont un esprit même supérieur se garantit difficilement, la marquise s’était fait un amusement de l’amour timide et sérieux que ressentait l’Anglais. Ces regards périodiques étaient devenus comme une habitude pour elle, et chaque jour de nouvelles plaisanteries attestaient le passage de sir Arthur.

En se mettant à table, les deux femmes le regardèrent simultanément, et les yeux de Julie et de sir Grenville se rencontrèrent cette fois avec une telle précision de mouvement et de sentiment, que la jeune femme rougit. Aussitôt l’Anglais pressa son cheval, qui partit au galop.

— Mais, madame, dit Julie à sa tante, que faut-il faire ? Il doit être constant pour les gens qui voient passer sir Arthur, que je suis…

— Oui, répondit la marquise, en l’interrompant.

— Hé bien ! ne pourrais-je pas lui faire dire de ne pas se promener ainsi ?…

— Ne serait-ce pas lui donner lieu de penser qu’il est dangereux ? Et d’ailleurs, pouvez-vous empêcher un homme d’aller et venir où bon lui semble. Demain nous ne mangerons plus dans cette salle, et ne nous y voyant plus, le lord discontinuera de vous aimer par la fenêtre… Voilà, ma chère enfant, comment se comporte une femme qui a l’usage du monde.