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LITTÉRATURE.

pèce de cave est tellement obscure, que sans le secours de quelques lampes de fer, on n’y verrait pas en plein midi.

Au bas de l’escalier un petit homme roux, trapu et manchot vint à moi, et me demanda civilement ce que je voulais ; quand il le sut, il cligna des yeux, d’un geste me recommanda le silence, me prit la main, me fit traverser un couloir noir comme un four, et après quelques minutes de marche, je me trouvai dans une petite salle éclairée par un soupirail.

Alors Yvon Polard me dit à voix basse : « Mon officier, vous n’avez qu’à regarder et à écouter par cette fente… que vous voyez à cette cloison ? Il ne me reste que cinq culottes-goudronnées à placer ; ils sont là à courir bon-bord ; c’est l’histoire de rire en attendant de pousser au large. Vous pouvez les juger ; ils vont tout à l’heure être saouls comme des soldats, et vous savez, mon officier, qu’alors on se déboutonne, qu’on fait voir sous quelle aire de vent on a l’habitude de naviguer. Vous ferez votre choix d’après ce que vous aurez vu, et nous nous entendrons pour le reste. Je vous laisse, mon officier. »

Je collai mon œil à la fente, et je vis les cinq matelots assis autour d’une table noire et grasse, éclairée par la lueur douteuse d’une lampe. Deux femmes envinées, l’œil brillant, les cheveux épars, à la voix rauque, leur versaient à boire : ils étaient ivres, ou à peu près. Au bout de cinq minutes, deux tombèrent sous la table.

Ils restaient trois : un jeune garçon de vingt ans, blond et frais comme une fille ; le second était basanné, vigoureux, bien découplé, et pouvant avoir quarante ans ; quant au troisième, je ne pus voir sa figure, car il tenait sa tête cachée dans ses mains.

— « Pour de vieux caïmans à peau salée, ils portent b… mal la voile, dit le jeune garçon en poussant dédaigneusement du pied le corps des deux matelots, qui roulèrent sous les bancs… Allons, toi… la Jambe de bois, verse ; … verse donc, cordieu ; le gosier me démange… »