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LITTÉRATURE.

quence est surtout dans l’accent, dans le geste, l’attitude et les regards.

Lord Grenville se cacha la tête dans ses mains, car des larmes roulaient dans ses yeux. Ce remercîment était le premier que Julie lui eût adressé depuis leur départ de Paris.

Pendant une année entière, il avait soigné la marquise avec le dévoûment le plus entier. Secondé par M. d’Aiglemont, il l’avait conduite aux eaux d’Aix ; puis, sur les bords de la mer à La Rochelle. Épiant à toute heure, à tout moment, les changemens que ses savantes et simples prescriptions produisaient sur la constitution délabrée de Julie, il l’avait cultivée comme une fleur rare peut l’être par un horticulteur passionné. La marquise avait reçu ces soins intelligens avec tout l’égoïsme d’une Parisienne habituée aux hommages, ou avec l’insouciance d’une courtisane qui ne sait, ni le prix des choses, ni la valeur des hommes, et qui les prise au degré d’utilité dont ils lui sont.

L’influence exercée sur l’âme par les lieux, est une chose digne de remarque. Si la mélancolie nous gagne infailliblement lorsque nous sommes au bord des eaux, une autre loi de notre nature impressible fait que, sur les montagnes, nos sentimens s’épurent, et la passion y gagne en profondeur ce qu’elle paraît perdre de vivacité. L’aspect du vaste bassin de la Loire, et l’élévation de la jolie colline où les deux amans s’étaient assis, causaient peut-être le calme délicieux dans lequel ils savourèrent d’abord un bonheur inconnu, celui de deviner toute la passion cachée par des paroles insignifiantes en apparence.

Au moment où Julie acheva la phrase dont milord Grenville avait été si vivement ému, une brise caressante agita la cime des arbres, répandit la fraîcheur des eaux dans l’air, et les nuages ayant couvert le soleil, des ombres molles et douces permirent d’apercevoir toutes les beautés de cette splendide nature.

Julie détourna la tête pour dérober à son sauveur la vue des larmes qu’elle réussit à retenir et à sécher dans ses yeux, car