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L’ESPAGNE TELLE QU’ELLE EST.

6o Enfin les bergers ou conducteurs de ces hordes dévastatrices sont plus redoutés que les voleurs mêmes ; partout où ils passent, ils exercent un despotisme intolérable. Ils abusent sans réserve du privilége de traduire tout citoyen devant le tribunal de l’association, dont les décisions ne manquent jamais de leur être favorables.

De tout temps ces griefs ont excité les plus vives récriminations, et dans un rapport admirable fait en 1795 au conseil de Castille, par un de ses membres, don Gaspar Melchior de Jovellanos, rapport qui peut être regardé comme un des meilleurs traités connus d’économie politique, les maux causés par la Mesta sont exposés avec une force de raison, une hauteur de vues, qui partout ailleurs qu’en Espagne auraient été irrésistibles. Voici comment se termine ce vigoureux plaidoyer.

« Nous en avons dit assez sur ce sujet, d’ailleurs si évident : vous ne pouvez vous refuser à dissoudre cette association puissante ; il faut annuler ses priviléges exclusifs, abroger ses réglemens, ses tribunaux oppresseurs. Ainsi disparaîtra à jamais ce contrat inique entre des nobles et des moines, devenus bergers, qui se livrent à un indigne trafic sous l’égide révérée d’une magistrature politique. Alors ces monopoleurs insolens cesseront enfin de terrifier, de ruiner l’agriculture ; avec eux disparaîtront ces troupes dalcaldes, entregadors et achagueros[1] qui, au nom de la corporation, harcellent et accablent les fermiers. Ainsi, vous rendrez aux troupeaux stationnaires des moyens de subsistance, à l’agriculture sa liberté, à la raison et à la justice ses droits imprescriptibles. »

Les biens inaliénables de toute nature sont en Espagne une autre plaie qui ronge l’agriculture et paralyse l’industrie ; et malgré les efforts des hommes éclairés ils s’accroissent sans cesse. Ce n’est pas sans exactitude qu’on a comparé

  1. C’est ainsi que se nomment les juges et les autres employés que la Mesta a sous ses ordres, en vertu de ses priviléges.