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POÈTES D’INSTINCT DE L’ANGLETERRE.

lieux où l’oiseau module son chant au murmure de la source ; sous ce nuage épais et noir qui plane sur les villes, et que dédaignerait la nuit ? Te coucheront-ils dans cette terre qui ne se pare jamais de fleurs, dans ce hideux cimetière où pourrissent côte à côte l’esclave et le tyran, infectant jusqu’à l’air ? Oh non ! qu’ils te portent sur la bruyère où crie le pluvier, où le nuage se balance libre sur les cimes nues du roc. Là, ton cœur habitait ; c’est là qu’il te faut dormir : dormir sous le vent frais de la montagne, loin de la fosse du mendiant, loin du seuil du despote. Peu de gens chercheront ta dernière demeure dans la lande inhabitée ; peu liront ton épitaphe : «Ici repose le prédicateur du pauvre.»

Il y a plus de sensations poétiques dans cette œuvre d’un artisan, bien que le style trahisse parfois l’imitation des auteurs classiques, et que la pensée, qui appartient bien à l’homme, s’allonge en se moulant dans des hémistiches et des formes apprises ; il y a, dis-je, plus de poésie intime dans les vers de l’ouvrier de Sheffield, que dans la plupart de ceux des poètes d’instinct que Southey passe en revue.

L’un d’eux, cependant, avait mené, dans son humble rang, la vie la plus favorable à l’inspiration. Le Poète des eaux, le batelier John Taylor, berçait tour à tour sa muse aux rugissemens de l’océan, aux murmures de la Tamise. Mais, par malheur, il était homme d’esprit : la poésie n’était pour lui qu’un moyen. Il tournait rapidement le vers, comme il fendait joyeusement la vague, pour que sa barque, bien à flot, fît plus vite son chemin. Il avait le goût, non la passion, des aventures. Mieux eût valu pour la postérité qu’il racontât les siennes que de les versifier. Clopin, clopant, moitié prose, moitié vers, il narre gaîment ses voyages, ses lectures, où le Godefroy de Bouillon de Fairfax, Chaucer et la Bible, Dubartas et Montaigne, la Légende dorée et Sénèque, Plutarque et Marc-Aurèle, Joseph et Suétone, se mêlent confusément.

Dans sa coquille légère, il transportait à Greenwich les courtisans d’Élizabeth et les beaux esprits de cette cour pé-