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HISTOIRE. — PHILOSOPHIE.

de vouloir ? L’homme veut une chose, mais à une condition, qu’elle lui paraisse bonne. Il s’attache à la vue de son intelligence, s’y opiniâtre, et la veut. Si l’objet de sa volonté lui est contesté par d’autres, il veut plus fortement encore ; et cette loi qu’il aime, il l’appelle l’expression de sa volonté. Le peuple qui veut une chose ne distingue pas pourquoi il la veut ; il conçoit et veut dans un acte naturel et obscur, dont il n’a pas la conscience réfléchie, et dans lequel la volonté est plus sensible pour lui que l’intelligence. Dire que la loi est l’expression de la volonté générale, c’est parler juste, mais incomplètement. C’est avoir un sentiment vif de la réalité, mais ne pas l’embrasser tout entière. Néanmoins la définition de Jean-Jacques répondait tellement aux véritables besoins de son siècle, qu’elle s’est incorporée avec nos mœurs et nos idées politiques.

Mais nous n’irons pas loin sans trouver les inconvéniens philosophiques de cette vue incomplète. La justice sociale ne sera plus que l’effet d’un contrat qui, une fois enfreint par une des parties, permettra à l’état de rendre guerre pour guerre au violateur du pacte, « Tout malfaiteur attaquant le droit social devient par ses forfaits rebelle et traître à la patrie ; il cesse d’en être membre en violant ses lois, et même il lui fait la guerre ; alors la conservation de l’état est incompatible avec la sienne : il faut qu’un des deux périsse, et quand on fait mourir le coupable, c’est moins comme citoyen que comme ennemi[1]. » Non, la loi n’est pas un contrat, mais une règle que la société présente au coupable ; elle y compare ses actions, elle les y mesure avec une justice miséricordieuse et sans colère ; elle punit avec douleur, elle absout avec joie dans la personne du magistrat, qui est un pontife et non pas un gladiateur.

Nouveaux inconvéniens : si la volonté seule est toute la loi, la loi pourra être mobile comme la volonté ; et Rousseau arrivera à cette proposition : « D’ailleurs, en tout état de

  1. Contrat social, liv. ii, chap. 5.