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JEAN-JACQUES ROUSSEAU.

cause, un peuple est toujours le maître de changer ses lois, même les meilleures ; car, s’il lui plaît de se faire mal à lui-même, qui est-ce qui a le droit de l’en empêcher[1] ? » Et cependant le même Rousseau dit ailleurs : « Il n’y a pas de danger qu’un peuple se fasse mal à lui-même. » L’absence de la raison générale se fait assez sentir dans la définition de la loi.

Il était naturel que le gouvernement monarchique parût au philosophe inférieur tant à l’aristocratique qu’au démocratique. Il en a tracé un portrait amèrement comique : « Un défaut essentiel et inévitable, qui mettra toujours le gouvernement monarchique au-dessous du républicain, est que dans celui-ci la voix publique n’élève presque jamais aux premières places que des hommes éclairés et capables, qui les remplissent avec honneur, au lieu que ceux qui parviennent dans les monarchies ne sont le plus souvent que de petits brouillons, de petits fripons, de petits intrigans, qui font, dans les cours, parvenir aux grandes places, ne servent qu’à montrer au public leur ineptie aussitôt qu’ils y sont parvenus. Le peuple se trompe bien moins sur ce choix que le prince, et un homme d’un vrai mérite est presque aussi rare dans le ministère, qu’un sot à la tête d’un gouvernement républicain. Aussi quand, par quelque heureux hasard, un de ces hommes nés pour gouverner prend le timon des affaires dans une monarchie presque abîmée par ces tas de jolis régisseurs, on est tout surpris des ressources qu’il trouve ; et cela fait époque dans un pays[2]. » C’était pour la première fois que la monarchie entendait un langage aussi dur et aussi violent ; mais c’était aussi la monarchie de Louis xv.

L’Angleterre ne paraissait pas un pays libre à la logique de Jean-Jacques. La souveraineté étant fondée sur la volonté, on ne peut pas plus la déléguer que cette dernière ; donc on

  1. Contrat social., liv. ii, chap. 12.
  2. Ibid., liv. iii, chap. 6.