Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 4.djvu/390

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
378
LITTÉRATURE.

là sur cette terrasse que nous fûmes nous placer, mes amis et moi. Il y avait six jours que nous n’avions été à l’ombre, six jours que nous n’avions eu un moment de repos. Que cette halte était belle ! Nous cinq sur un des toits de la ville conquise ! nous cinq, brunis par le soleil, haletans et curieux, et déjà l’armée française qui se fait entendre ! Déjà les premiers pas des soldats républicains, et le pas du général, qui battait plus haut à lui seul que tous les autres réunis. Déjà le tambour et la trompette, le coq gaulois aux ailes déployées, qui nage dans les trois couleurs, l’arc-en-ciel triomphal ! Que nous étions bien alors ! nous vîmes entrer tous ces travaux, tous ces dangers, tous ces Français, tout ce général ; il nous semblait, du haut de ce toit, que nous nous voyions passer. En présence de toute cette gloire, nous nous levâmes pénétrés de respect ; et, comme nous avions oublié d’être chrétiens, nous criâmes comme les Musulmans, comme eux éblouis d’admiration : Dieu est grand !

Il y a des heures où la religion est un besoin. C’était la première fois depuis mon départ que je m’avisais de croire en Dieu !

Au moment où nous nous levions tous les cinq, battant des pieds et des mains en criant : Dieu est grand ! Le toit fragile sur lequel nous étions vint à faiblir ; nous le sentîmes s’enfoncer mollement sous le faix : alors, étonnés, surpris et ne sachant pas ce que nous devions craindre, nous nous sentîmes descendre au milieu d’une vapeur odorante, chaude vapeur pleine de volupté et de repos. Un instant, nous nous crûmes descendus dans le paradis de Mahomet.

Vous autres de la génération nouvelle, si vous aviez cette histoire à raconter, vous seriez une heure à décrire ce bain turque, à examiner ces femmes turques presque nues, vous nous diriez la blancheur de leur peau, la beauté de leurs lèvres, la petitesse de leurs pieds, la finesse de leur taille, la couleur de leur prunelle, la longueur de leurs cheveux : éternels descripteurs que vous êtes ! Malheur à la description, elle a tué tout l’intérêt du récit et du voyage. La des-