Rien ne reste de nous : notre œuvre est un problème ;
L’homme, fantôme errant, passe sans laisser même
Son ombre sur le mur.
Il y a donc en ce livre de notre grand poète, progrès d’art, progrès de génie lyrique, progrès d’émotions approfondies, amoncelées et remuantes. Mais de progrès en croyance religieuse, en certitude philosophique, en résultats moraux, le dirai-je ? il n’y en a pas. C’est là un mémorable exemple de l’énergie dissolvante du siècle et de son triomphe à la longue sur les convictions individuelles les plus hardies. On les croit indestructibles, on les laisse sommeiller en soi comme suffisamment assises, et un matin on se réveille, les cherchant en vain dans son âme ; elles s’y sont affaissées comme une île volcanique sous l’Océan. On a déjà pu remarquer un envahissement analogue du scepticisme dans les Harmonies du plus chrétien, du plus catholique de nos poètes, tandis qu’il n’y en avait pas trace dans les Méditations, ou du moins qu’il n’y était question du doute que pour le combattre. Mais l’organisation intime, l’âme de M. de Lamartine, est trop encline par essence au spiritualisme, au Verbe incréé, au dogme chrétien, pour que même ses négligences de volonté amènent chez lui autre chose que des éclipses passagères. Dans M. Victor Hugo au contraire, le tempérament naturel a un caractère précis à la fois et visionnaire, raisonneur et plastique, hébraïque et panthéiste, qui peut l’in-