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qu’une chose à remarquer dans le rapport de M. Decazes, et à peine s’en est-on occupé, tant l’attention publique est distraite, étourdie, insouciante quelquefois : c’était un amendement en faveur de la propriété, et contre les catégories ; c’était tout simplement la ruine du projet, et si l’amendement eût été adopté et renvoyé à la chambre des députés, c’était à n’en plus finir.

M. de Fitz-James a prononcé un discours d’éclat, très adroit, semé de quelques trivialités, bardé de loin en loin de quelques raisonnemens usés et communs ; mais il a le sentiment et l’intelligence de sa position, et si son discours n’est pas utile au pays, au moins faut-il convenir qu’il ne pouvait se retirer d’une façon plus chevaleresque. Nous ne voulons pas contester la sincérité du noble duc, ni éprouver sa dialectique : mais nous reconnaissons volontiers qu’il n’a pas manqué d’habileté. La pairie, a-t-il dit, est impossible et absurde sans l’hérédité ; mais dans l’état des esprits, en présence de l’opinion publique, l’hérédité n’est pas possible. Il faut donc l’abolir ; mais, sans la pairie, que devient la monarchie, que devient l’hérédité du trône, que devient la France ? La république est imminente : elle est à vos portes, et combien de temps la république durera-t-elle ? Par bonheur toutes ces questions oratoires ne sont pas des questions réelles et politiques ; mais elles devaient produire et ont produit sur la chambre une puissante impression. M. de Fitz-James n’a d’ailleurs négligé aucune des ressources que son caractère personnel, ses amitiés et ses souvenirs pouvaient lui offrir. Il a pris à témoin la gloire du maréchal Lannes, qu’il voudrait voir se perpétuer dans son fils. Il a eu des mouvemens que Châteaubriand ne désavouerait pas, et qu’il a inspirés. Quand il a demandé si le boulet qui avait emporté son aïeul n’était pas de fer et ne pesait pas le même poids que celui qui emporta tant de têtes glorieuses que nous révérons, on s’est rappelé involontairement l’éloquence de l’auteur de René. En résumé, c’est un discours mal écrit et diffus, plein de longueurs et de redites, et qui a remué l’assemblée mieux et plus profondément que les plus belles pages, comme tant d’autres discours mal écrits. Lisez les discours du général Foy : ils ne sont pas si purs que ceux de Benjamin Constant, et quelle différence à la tribune ! M. de Fitz-James renonce à la pairie et se porte candidat pour la chambre des députés. Nous ne pouvons qu’applaudir au parti qu’il prend.

MM. de Coigny, de Noailles, de Dreux-Brézé, n’ont rien fait et ne pouvaient rien faire pour une cause défaillante et perdue. Le duel de l’aristocratie et du ministère n’était qu’une misérable parodie. Les combattans n’étaient pas de bonne foi et regrettaient d’avance les coups qu’ils se portaient. Ce faux-semblant de guerre ne pouvait durer long-temps, et s’est terminé bien vite, comme nous l’espérions, par l’agonie et la résignation du vaincu : l’hérédité de la pairie est abolie.

Et cependant, en présence de ces débats, qui remettent en question la vie ou la mort de la nouvelle monarchie, l’archevêque de Paris adresse aux curés de son diocèse une circulaire larmoyante, pour leur conseiller, bien qu’à regret, de supprimer cette année la messe de minuit, un des scandales les plus