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LE LORGNON.
UN VOL. IN-8o, CHEZ LEVAVASSEUR ET GOSSELIN.

Voici un livre qui n’est pas signé ; mais le secret n’a pas été gardé, et ne devait pas l’être. Il ne faut vraiment pas beaucoup de finesse et de pénétration, pour deviner que l’auteur a compté sur l’indiscrétion. C’est une tactique assez habile, et qui place la critique dans une fausse position. En ne se nommant pas on se donne pleine liberté, on multiplie au gré de ses caprices, les portraits, les railleries et les souvenirs. On demeure anonyme tant qu’on tient la plume, pour ne pas se gêner, on se dépouille de son sexe, on renonce aux réserves que le monde impose, on abdique au besoin, et pour quelques semaines seulement, la célébrité qu’on doit à ses charmes et à sa jeunesse ; puis quand arrive le grand jour, au moment de lancer son ouvrage, on aide soi-même et de son mieux à la révélation du secret, et l’on espère ainsi embarrasser les gens les plus difficiles et les réduire au silence ; on les défie de vous attaquer, on semble presque leur reprocher d’avance leur injustice et leur aigreur, on se fait un bouclier de sa franchise et de sa générosité.

Essayons pourtant de parler du Lorgnon comme si nous l’avions reçu et feuilleté au fond de l’Auvergne ou de la Bretagne, sans avoir parcouru les journaux, qui depuis quinze jours épuisent toutes les coquetteries de la réticence, toutes les flatteries ingénieuses de l’allusion ; jugeons le nouveau roman, comme si nous n’avions lu ni le Bonheur d’être belle, ni le Malheur d’être laide, ni la Vision de Jeanne d’Arc, ni les Stances au général Foy, ni le Dernier jour de Pompéi, ni même Corinne aimée ; oublions pour n’ébranler pas notre impartiale intégrité, les lectures et les improvisations de salon, qui, sous la restauration, avaient toute l’importance d’un évènement.

La donnée du Lorgnon, la fable repose sur une invention qui prétend à la fantaisie d’Hoffmann, et qui, à notre avis, est bien loin d’y atteindre. Le talisman qu’Edgar doit à l’amitié d’un savant Bohémien, n’est qu’un ressouvenir infiniment pâle de maître Floh, et quelle prodigieuse différence ! Mais de bonne foi, nous aurions mauvaise grâce à insister sur la machine épique de l’auteur. Sauf le mystère qu’il a voulu mettre dans le titre, il est plus que probable qu’il n’y attache pas lui-même une grande importance. À proprement parler, le roman nouveau est ainsi fait, qu’on s’aperçoit, en lisant les dernières