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Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 5.djvu/199

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LETTRES PHILOSOPHIQUES.

nous un accident tout-à-fait nouveau. Jusqu’ici la France a toujours été mue, dans les diverses périodes de son histoire, par des sentimens énergiques et affirmatifs : le doute lui est contraire, la neutralité impossible ; religieuse ou philosophe, elle a toujours été dogmatique ; Rousseau est aussi croyant que Fénelon. Il semblerait à la première vue que, dans le dix-huitième siècle, on frappait au hasard, sans autre persévérance que celle de la colère ; mais, sous l’incrédulité hostile qui maltraitait à toute heure, l’autorité religieuse et politique, respirait une foi puissante dans les droits et la dignité de l’homme. Comme Socrate, Voltaire avait le diable au corps. Quelle âme plus lyrique que celle de Diderot ? Quel prêtre, à quelque communion qu’il appartienne, pourra se dire plus inspiré que lui ? Si vous considérez des penseurs plus calmes et plus froids, d’Alembert et Condillac au moment où ils faisaient de la sensibilité une théorie approfondie, se montrèrent toujours persuadés de la puissance de la pensée, des facultés mentales et des idées elles-mêmes. Remontez, monsieur, un siècle encore, vous trouverez la France pleine de ferveur, d’enthousiasme et de dignité ; la foi est partout, dans la personne de Louis xiv, dans la chaire de Bossuet, dans les cellules de Port-Royal, dans les écrits d’Arnaud et de Nicole, dans les controverses de Pascal et du père Daniel, dans les discussions sur la grâce et la prédestination, dans cette théologie, qui peut lutter de profondeur, d’analyse et de ténuité avec la métaphysique de vos philosophes, et qui s’exerçait sur les mêmes objets, Dieu et l’homme. Il n’y a pas, monsieur, jusqu’à nos sceptiques que n’ait animés toujours une passion secrète contre les préjugés et les institutions à l’agression desquelles ils se vouèrent. Montaigne, qui naquit treize ans avant la mort de votre Luther, travailla à la même œuvre ; mais au lieu d’être fanatique, il est goguenard. Bayle, sous les artifices de son pyrrhonisme, a déposé contre les opinions qui faisaient autorité jusqu’à lui, les négations les plus affirmatives.

Il faudrait donc, monsieur, croire à une perturbation complète dans les habitudes morales de la nation française, si elle était véritablement livrée à l’indifférence, à l’apathie, au décourage-